Pesticides : le poison discret qui s’invite dans nos assiettes

ByRédaction

May 19, 2025

Alors que la consommation de fruits et légumes est censée rimer avec bonne santé, la réalité mauricienne est bien plus inquiétante. Derrière les apparences colorées des étals se cache un cocktail chimique, parfois hors de contrôle.

À première vue, les légumes et fruits frais sur nos marchés ont tout pour rassurer. Couleurs éclatantes, formes parfaites, abondance rassurante. Mais la réalité, elle, se mesure en résidus. Résidus de pesticides, de fongicides, de mûrisseurs chimiques — autant de substances dont la présence excessive est aujourd’hui dénoncée par scientifiques, médecins et même certains planteurs.

L’Ethephon, par exemple, est l’un de ces produits controversés. Régulateur de croissance utilisé pour provoquer le mûrissement rapide des fruits, il a été restreint par les autorités. Pourtant, il reste en vente libre dans plusieurs magasins agricoles à Rs 200 le flacon, en dépit des directives du ministère de l’Agro-industrie. En théorie, seuls les planteurs d’ananas enregistrés auprès du Food and Agricultural Research and Extension Institute (FAREI) peuvent y avoir accès. En pratique, le contrôle échappe encore largement à la vigilance de l’État.

Pour Dhiraj ramphal , planteur à La Marie depuis plus de 25 ans, les pesticides sont devenus un mal nécessaire.

« C’est malheureux à dire, mais c’est la vérité. Produire sans pesticide, c’est risquer de perdre sa récolte. Et avec ce que coûte la production aujourd’hui, ce n’est pas une option. »

Il affirme qu’il n’est pas le seul à agir ainsi :

« Tout le monde le fait, mais personne n’en parle. Il ne faut pas nous faire passer pour des criminels, on ne cherche pas à empoisonner qui que ce soit, juste à survivre dans ce métier. »

Bio : foi sincère ou stratégie de marché ?

Face à cette impasse, certains ont fait un choix radical : celui de bannir les pesticides. C’est le cas de  Prem Dayal, planteur à Carreau Lalianne, qui a converti l’ensemble de ses terres aux normes MAURIGAP, respectant les principes de l’agriculture biologique. « J’ai grandi dans une famille de planteurs. On a toujours cultivé la terre avec fierté. Mais en voyant la quantité de produits qu’on utilisait, j’ai eu un déclic. Un jour, j’ai dit stop. » Cela fait maintenant dix ans qu’il travaille ses champs autrement. Aucun intrant chimique. Des engrais naturels. Des contrôles réguliers par les agents de l’AREU. Il affirme : « Certains me critiquent, doutent de mes méthodes, mais moi je dors la conscience tranquille. Ce qu’on met dans le sol, on le retrouve dans notre sang. » Mais le bio a ses limites. Il coûte plus cher à produire, prend plus de temps à récolter, et reste moins compétitif sur les étals. Un des directeurs des hypermarché nous confirme : « C’est un marché en pleine croissance. Les consommateurs qui en ont les moyens préfèrent acheter bio, surtout avec la peur du cancer. Mais les prix, et la durée de conservation plus courte, sont un frein pour la majorité. »

Des fruits dopés pour plaire au marché

L’un des secrets les plus dérangeants de la filière agricole réside dans le dopage des fruits et légumes pour les rendre visuellement attrayants. À commencer par l’ananas et la banane, produits phares de la consommation mauricienne. Ravin, planteur dans le Nord, explique :

« Un ananas, c’est huit mois de travail. Mais sans le dopage, il reste vert. L’Ethrel permet d’avoir un fruit bien jaune en quelques jours. Même chose pour la banane. »

Le processus est simple : après un apport en fertilisants puissants comme le sulfate de potassium pour faire gonfler les fruits, une dose d’Ethephon est administrée pour leur donner une apparence plus vendable. Le visuel prime sur le naturel.

La laitue aussi est victime de cette logique. Produite en 65 à 70 jours, elle subit une série de traitements : Vertimex et Hortiva pour la protéger, Planofix pour gonfler ses feuilles. Les variétés hydroponiques, cultivées sans terre ni chimie, existent… mais restent inaccessibles pour la majorité. Un  nutritionniste, sonne l’alerte :

« Les pesticides sont directement liés à des cancers, à l’infertilité, au diabète. Il faut absolument renforcer le contrôle. En attendant, je recommande de tremper fruits et légumes au moins 4 heures avant consommation. »

Chaque mois, le Food and Agricultural Research and Extension Institute analyse une cinquantaine d’échantillons prélevés auprès de planteurs. Résultat : 10 % des produits analysés en 2014 dépassaient le seuil légal en résidus de pesticides, contre 2,3 % en 2010. Une tendance à la hausse inquiétante. Parmi les substances les plus retrouvées : cyperméthrine, carbendazime, chlorpyrifos. Des noms qui ne disent rien au consommateur, mais qui s’invitent pourtant dans son alimentation au quotidien.

Le gouvernement a interdit l’usage du Roundup, herbicide autrefois très répandu. Un geste salué, mais jugé encore insuffisant face à la prolifération incontrôlée d’autres produits chimiques. L’agriculture mauricienne est à un tournant. Les producteurs sont pris dans un étau : rendement ou santé publique ? Certains ont fait le choix du bio. D’autres résistent à la pression des marges. Mais sans politique de soutien claire, sans contrôles renforcés et sans transparence, le consommateur reste le grand perdant. Produire oui, nourrir oui. Mais pas au prix de l’empoisonnement lent. Il est temps d’arracher les masques derrière les étiquettes.

Abondance dans les champs, mais prix toujours en feu sur les étals

L’hiver est loin d’être synonyme de disette. Les champs se parent de vert, les brèdes poussent à foison, les carottes s’épanouissent sous des températures clémentes, les choux se densifient. Pourtant, cette abondance agricole ne se reflète pas sur les étals des marchés. Les consommateurs, eux, continuent de serrer les dents face à des prix qui défient toute logique saisonnière.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : Rs 125 à Rs 200 pour un demi-kilo de pommes d’amour, Rs 120 pour les carottes ou le voème, Rs 150 pour un chou-fleur. Et la liste continue. Cette flambée des prix, malgré des récoltes jugées bonnes, trouve ses racines dans une conjonction de facteurs : le coût élevé des fertilisants, la pénurie d’eau après des mois de sécheresse, des salaires en hausse, mais aussi une chaîne de distribution parfois déséquilibrée où certains intermédiaires tirent les prix vers le haut.

Pour Kreepalloo Sunghoon, secrétaire de la Small Planters Association, la situation est intenable sans une refonte du modèle agricole. Il propose des solutions concrètes : une “Land Bank” pour exploiter les terres agricoles délaissées, une meilleure gestion de l’eau, la création de clusters comme celui de Plaine Sophie, et surtout, des formations en agri-business pour professionnaliser et moderniser le métier.

Car au-delà des récoltes, c’est tout l’écosystème agricole qui doit évoluer. Si les planteurs résistent, innovent, diversifient, ils ne peuvent pas lutter seuls contre les aléas du climat et les déséquilibres économiques. Il faut une volonté politique forte, un accompagnement structurel, et une transparence dans les circuits de distribution.

À noter que les fruits importés, représentant environ 30 % de l’offre globale, sont en grande partie contractualisés. Moins soumis aux fluctuations saisonnières, ils offrent une certaine stabilité de prix. Une stratégie qui pourrait inspirer la filière locale.

L’hiver est donc double face : promesse de terres fertiles, mais aussi révélateur des failles du système. Pour que l’abondance dans les champs se traduise enfin par une accessibilité dans les assiettes, il est temps d’agir.

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