Les écosystèmes côtiers ont la capacité de capter d’importantes quantités de dioxyde de carbone (CO₂). Face à l’urgence climatique, renforcer leur pouvoir d’absorption séduit de plus en plus. Cette approche, qualifiée de « solution fondée sur la nature », reste toutefois encore fragile scientifiquement. Malgré cela, des premiers crédits carbone ont été attribués à ce titre lors de la Conférence des Nations unies sur les océans (UNOC) à Nice.
À Maurice, le « carbone bleu » commence à prendre forme, lentement mais sûrement. Dans l’arrière-cour de l’aquarium Odysseo, au cœur de Port-Louis, deux conteneurs blancs marquent les débuts modestes d’un laboratoire. Quelques équipements : une table, deux chaises, deux fours industriels. Le directeur scientifique, Shane Sunassee, pilote ce projet encore embryonnaire. L’espace est épuré, presque vide, mais porteur d’ambitions.
Car pour la Commission de l’océan Indien (COI), qui regroupe les Comores, Madagascar, la France, Maurice et les Seychelles, ce laboratoire incarne une première étape vers un blue economy hub régional. Le projet baptisé « Recos » — pour Renforcement de la résilience des écosystèmes côtiers du sud-ouest de l’océan Indien — est financé par l’Agence française de développement (AFD). Il vise à restaurer des milieux essentiels comme les mangroves, les herbiers marins et les marais salants, aujourd’hui gravement dégradés dans toute la région.
Les causes de cette dégradation sont multiples : exploitation du bois, mise en culture des sols, surpêche dans les lagons des pays les plus pauvres, développement touristique effréné dans les pays plus aisés. Résultat : une quasi-disparition de ces écosystèmes, pourtant vitaux pour les communautés locales.
« Ces milieux fournissaient des services écosystémiques essentiels : sécurité alimentaire, protection contre les effets du changement climatique, notamment l’érosion côtière et la montée des eaux », explique Shane Sunassee. « Les restaurer, c’est rétablir ces fonctions disparues. »
Le premier objectif du laboratoire mauricien est la mise en place d’une pépinière d’herbiers marins. Ces plantes aquatiques, bien que discrètes, jouent un rôle crucial dans le piégeage du CO₂. Mais elles ont été largement arrachées dans certains lagons. En cause : des hôtels balnéaires qui, par crainte pour la sécurité des baigneurs ou pour des raisons esthétiques, ont préféré les éliminer.
« Nous travaillons à améliorer le taux de survie des herbiers réimplantés », précise le scientifique. L’idée est de renforcer leur résilience face aux aléas climatiques et aux pressions humaines. À terme, ce travail pourrait également alimenter un marché de crédits carbone spécifiques aux zones marines côtières. Un marché encore en construction, mais qui pourrait représenter une incitation financière pour protéger et restaurer ces écosystèmes naturels.
Si les ambitions sont encore loin d’être concrétisées, ce modeste laboratoire de Port-Louis représente une avancée. Une tentative d’inscrire Maurice dans une dynamique écologique et économique innovante, à l’échelle régionale. Et de faire du carbone bleu, aujourd’hui conceptuel, une réalité mesurable.