À Rs 150 le demi-kilo, la pomme d’amour se paie au prix fort. Dans les marchés de l’île, ce fruit essentiel de la cuisine mauricienne – des rougailles aux salades – est devenu un luxe, provoquant la frustration des consommateurs et l’inquiétude des maraîchers. En cause, un petit insecte ravageur aux conséquences dévastatrices : le Tuta absoluta.
Un insecte minuscule, des dégâts colossaux
Originaire d’Amérique du Sud, Tuta absoluta, aussi appelé mineuse de la tomate, est un papillon nocturne dont les larves se nourrissent des feuilles, tiges et fruits des plants de tomate. Introduit accidentellement en Europe dans les années 2000, ce fléau agricole a rapidement gagné l’Afrique, l’Asie et désormais l’océan Indien.
À Maurice, les premières infestations ont été signalées dans des serres de la région de Wooton et de la Vallée-des-Prêtres. La prolifération de cet insecte est facilitée par des températures chaudes et l’usage mal encadré de pesticides. Tuta absoluta peut engendrer des pertes de récolte allant jusqu’à 80 à 100 % si elle n’est pas maîtrisée à temps.
Serres en crise, marchés en désarroi
Le ministère de l’Agro-industrie confirme une baisse significative de la production sous serre, qui fournit une large part des tomates hors saison, notamment dans les zones urbaines. Les producteurs, déjà fragilisés par la hausse du coût des intrants agricoles, sont dépassés par la virulence de l’infestation.
« Malgré les traitements, le Tuta revient. Les larves se cachent dans les tiges et les fruits. On perd tout en quelques jours », confie Vishal, un cultivateur de Plaine-Magnien, dont les trois serres sont pratiquement à l’arrêt. Résultat : une raréfaction du produit, des prix qui flambent, et des étals clairsemés.
Pesticides inefficaces, solutions limitées
Ce qui rend la lutte difficile, c’est la capacité du Tuta absoluta à résister à plusieurs classes de pesticides. L’usage abusif de produits chimiques entraîne non seulement une perte d’efficacité, mais aussi un risque accru pour l’environnement et la santé publique. Certaines variétés de tomates hybrides sont plus résistantes, mais elles coûtent plus cher et ne sont pas accessibles à tous les planteurs.
Des alternatives biologiques existent, comme l’introduction de prédateurs naturels (trichogrammes, mirides) ou l’usage de filets anti-insectes, mais elles nécessitent un encadrement technique et un investissement initial que peu de petits producteurs peuvent se permettre.
Réponse des autorités et appel à l’action
Face à cette menace, le Food and Agricultural Research and Extension Institute (FAREI) a intensifié les sessions de formation auprès des agriculteurs. Des campagnes de sensibilisation sont également menées, mais de nombreux producteurs demandent une aide d’urgence et un plan de lutte structuré à l’échelle nationale.
Le ministre de l’Agro-industrie, interrogé récemment, a reconnu l’ampleur du problème et promis un soutien accru aux planteurs touchés, notamment via la subvention de pesticides biologiques et la distribution de kits de protection.
Vers une relocalisation de la production ?
Cette crise révèle aussi les limites de notre dépendance aux cultures sous serre concentrées dans quelques zones. Plusieurs voix s’élèvent en faveur d’un redéploiement de la production vers des zones plus diversifiées et d’une relance de la recherche agronomique locale.
En attendant, sur les marchés, les consommateurs doivent faire des choix. Certains se tournent vers des tomates importées, d’autres se contentent de remplacer la pomme d’amour par des alternatives moins chères. Mais pour les producteurs comme pour les familles mauriciennes, le cœur du problème demeure : une tomate malade… et une filière qui vacille.