À Maurice, où le diabète de type 2 touche plus d’un adulte sur cinq, une révolution alimentaire pourrait bien changer la donne. Le régime cétogène, longtemps marginalisé, attire aujourd’hui l’attention des professionnels de santé.
L’épidémie de diabète à Maurice n’est plus une simple statistique : elle est visible dans les files d’attente des hôpitaux, les complications chroniques, les amputations, et le quotidien des familles. Face à une alimentation riche en sucres raffinés et en féculents, la population mauricienne paye un lourd tribut. Mais un mode d’alimentation venu des pays occidentaux gagne du terrain sur l’île : le régime cétogène, souvent combiné au jeûne intermittent. Ce régime repose sur un principe révolutionnaire : réduire les glucides au strict minimum (5 à 10 %), privilégier les bonnes graisses (70 à 80 %) et consommer des protéines en quantité modérée (15 à 20 %). Le corps entre alors en cétose, un état métabolique où il brûle les graisses pour produire de l’énergie, au lieu du glucose.
Une alimentation adaptée aux réalités locales ?
Plusieurs études scientifiques viennent appuyer cette démarche. Une méta-analyse de 15 essais cliniques révèle une amélioration significative du contrôle glycémique (HbA1c) chez les patients diabétiques de type 2 suivant une alimentation cétogène. Certains ont même pu réduire, voire arrêter leurs médicaments antidiabétiques. En matière de poids, une perte moyenne de 11 kg a été observée, contre 7 kg pour les régimes classiques. Et quand on sait que l’obésité est le principal facteur aggravant du diabète, cela change tout.
À première vue, le régime cétogène peut sembler difficile à mettre en œuvre à Maurice. Le riz blanc, les mines frits, les dholl puri ou les boissons sucrées sont omniprésents dans notre quotidien. Pourtant, les ingrédients nécessaires à une alimentation « keto » sont bien là : noix de coco, poissons, œufs, brèdes, avocat, huile d’olive… Il s’agit surtout de réapprendre à composer son assiette. Associé au régime cétogène, le jeûne intermittent peut avoir un effet catalyseur : 16 heures de jeûne, 8 heures d’alimentation, par exemple. Ce mode de vie favorise l’entrée en cétose, améliore la sensibilité à l’insuline et aide à réguler l’appétit. Chez les personnes obèses ou prédiabétiques, les études rapportent une réduction de la masse grasse, une meilleure gestion de la glycémie et une amélioration de la fonction musculaire.
Ce que dit l’experte : Rani Balloo alerte et nuance
Rani Balloo, fondatrice et directrice d’une clinique spécialisée, est également infirmière en diabétologie. Pour elle, le régime cétogène n’est pas une panacée mais peut être un outil précieux, à condition d’être encadré : « Le régime cétogène peut être bénéfique pour les personnes atteintes de diabète de type 2, en particulier pour réduire la glycémie, perdre du poids et améliorer la résistance à l’insuline. Cependant, il n’est pas recommandé aux patients atteints de diabète de type 1, car il peut provoquer une cétose sévère, dangereuse pour leur santé. »
Elle insiste sur le fait que ce régime ne remplace pas les traitements médicaux, mais peut agir en complément, sous supervision médicale.
Les risques à ne pas négliger
Adopter un régime aussi drastique sans accompagnement peut comporter des risques :
- Hypoglycémie sévère chez les patients sous insuline ou certains médicaments
- Carences en fibres, vitamines et minéraux
- Fatigue, crampes, maux de tête au début (le fameux “keto flu”)
- Hausse potentielle du cholestérol LDL, bien que le bon cholestérol HDL augmente
« Ce régime doit être personnalisé, encadré par un professionnel de santé. Une surveillance étroite de la glycémie est indispensable, tout comme une hydratation suffisante, une activité physique modérée et l’éviction des graisses saturées », souligne Rani Balloo.
Keto oui, mais pas n’importe comment
Un régime cétogène réussi repose sur des choix intelligents :
Privilégier : avocat, poissons gras, œufs, noix, légumes verts, huile d’olive, graines
Éviter : fritures, charcuteries, fast-food, viandes rouges en excès
Pour les débutants, une transition douce via un régime low-carb (faible en glucides mais moins strict que le cétogène) peut être une option intermédiaire.
Une durabilité à construire
Le régime cétogène est difficile à maintenir à long terme, admet Rani Balloo :
« Il exige une préparation mentale, un suivi nutritionnel régulier, et surtout, une motivation personnelle. Les résultats sont parfois spectaculaires au début, mais ils doivent être consolidés par une discipline quotidienne. » Elle rappelle que la perte de poids initiale est souvent due à la perte d’eau. Une perte réaliste à long terme se situe autour de 4 à 10 livres (1,8 à 4,5 kg) de graisse par mois.
Peu connu du grand public, le régime cétogène a été utilisé dès les années 1920 pour traiter l’épilepsie résistante chez les enfants. Aujourd’hui, des recherches prometteuses indiquent qu’il pourrait ralentir la progression de maladies neurodégénératives comme Alzheimer, en fournissant au cerveau des cétones lorsque le glucose est moins bien assimilé. Le diabète est une urgence mondiale. En Inde, il touche 77 millions de personnes ; dans le monde arabe, plus de 20 % de la population ; en Europe, jusqu’à 17 % dans certains pays. Et Maurice figure parmi les pays les plus touchés par la maladie.
Et si le changement partait de notre assiette
Le régime cétogène n’est pas une formule magique, mais il peut offrir une nouvelle voie aux personnes en surpoids ou atteintes de diabète de type 2. Accompagné d’un jeûne intermittent modéré, bien encadré médicalement, et adapté aux réalités culturelles locales, il représente une stratégie nutritionnelle sérieuse. « Il faut rester prudent, réaliste, mais ouvert aux alternatives », conclut Rani Balloo. « Chaque corps est différent. Le rôle du soignant est d’accompagner sans imposer. »