Eshan Jooman :   ‘’ Je suis fidèle à l’Alliance du Changement… mais pas aveugle’’

ByRédaction

June 25, 2025

Il fut l’un des premiers députés de la majorité à avoir exprimé publiquement ses réserves face à la réforme de la pension universelle, avant même que le gouvernement ne décide d’instituer deux comités pour repenser l’âge de départ à la retraite. Eshan Jooman, élu du Parti Travailliste dans la circonscription No. 3 (Port-Louis Maritime/Port-Louis Est), et ancien adjoint au Lord-maire de la capitale, assume pleinement sa sortie. Celle-ci, dit-il, n’était ni un acte de défiance, ni un calcul politique, mais une voix de terrain — celle d’un élu qui écoute, qui alerte et qui propose.

Q : Vous avez été le premier député de la majorité à vous opposer à l’âge de la retraite à 65 ans. Pourquoi ce timing, après le budget ?

R : Parce que je venais tout juste de rentrer de pèlerinage, après plusieurs semaines à l’étranger. À mon retour, j’ai été assailli de messages, d’interpellations, de conversations sur le terrain. La colère était palpable. J’ai écouté, j’ai analysé, et j’ai parlé. Je ne suis pas un homme politique qui reste dans une bulle. J’avais aussi proposé que l’on mette en place un comité indépendant pour examiner la réforme avec rigueur et respect du peuple. Heureusement, le Premier ministre et le Deputy Prime Minister ont entendu ce message.

Q : Le gouvernement a-t-il consulté ses backbenchers avant une telle réforme ?

R : Oui. Personnellement, j’ai été consulté. Mieux : j’ai envoyé une vingtaine de propositions budgétaires au Premier ministre, au DPM et au Junior Minister Dhaneswar Damry. Je suis heureux de constater qu’un bon nombre de mes suggestions ont été intégrées. Cela prouve qu’il y a une vraie écoute. Nous ne sommes pas dans un gouvernement fermé où tout est décidé en cercle restreint. Nous avons la liberté d’exprimer nos idées.

« Je ne suis pas un dissident, je suis une voix de terrain »

Q : Depuis la déclaration du Premier ministre au Parlement, avez-vous changé de position ?

R : Absolument pas. J’ai dit que c’était “inacceptable” de faire passer la réforme sans consultation et sans débat. Et justement, la réponse du Premier ministre m’a rassuré : il a mis en place deux comités pour analyser en profondeur la situation. C’est exactement ce que je souhaitais. On ne gouverne pas avec des coups de force, mais avec du dialogue.

Q : Était-il possible de financer la pension universelle sans relever l’âge de départ à 65 ans ?

R : Non. Pas dans l’état actuel des finances publiques. Il faut comprendre que le pays a été ruiné par l’ancien régime. Pravind Jugnauth et son gouvernement ont non seulement laissé les tiroirs vides… ils ont emporté les tiroirs ! Rs 5,6 milliards pour espionner leurs adversaires, Rs 5,5 milliards pour Betamax, Rs 60 milliards à la Mauritius Investment Corporation, Rs 20 milliards à Air Mauritius, Rs 3,3 milliards à la MauBank… la liste est longue et accablante. Ce sont des faits, pas des opinions.

« Ils ont emporté les tiroirs vides ! »

Q : Certains disent que votre déclaration était plus politique qu’économique. Que répondez-vous ?

R : Ma déclaration est citoyenne. Je suis élu par le peuple et pour le peuple. Quand une réforme suscite autant de doutes, il est de mon devoir de le dire. Cela n’a rien à voir avec un calcul politique ou une stratégie personnelle. Je reste fidèle à mon parti et à l’Alliance du Changement. Mais je ne suis pas un simple relais. Je suis une voix de terrain.

Q : Le gouvernement peut-il continuer à financer ce modèle social sans le réformer ?

R : Clairement, non. Il fallait absolument une réforme. Mais elle devait être bien pensée, concertée et responsable. D’où l’importance des deux comités créés. Notre responsabilité, c’est aussi de garantir un système pérenne pour les générations futures. On ne peut pas promettre l’impossible avec de l’argent qu’on n’a plus.

Q : Faut-il encourager davantage l’emploi des seniors ou envisager une retraite à la carte ?

R : Je pense que toutes les options doivent être étudiées sérieusement. Laissons les comités travailler. La retraite flexible, la réinsertion des seniors, la transition progressive… ce sont des pistes intéressantes, mais elles doivent être adaptées à notre réalité économique et sociale.

« Le Premier ministre m’a écouté. C’est ça, la différence »

Q : La tranche de Rs 15 000 pour les 60-64 ans, est-ce un bon compromis selon vous ?

R : C’est un compromis réaliste. Nous avons fait le choix d’accompagner les Mauriciens dans cette transition, et pas de les abandonner. Ce n’est pas parfait, mais c’est responsable. Il faut toujours se rappeler que cet argent vient des contribuables. Et nous avons d’autres engagements : santé gratuite, éducation gratuite, transport gratuit. On fait avec ce qu’on a, et on le fait bien.

Q : Le gouvernement veut responsabiliser les jeunes générations. Cela ne risque-t-il pas de creuser une fracture entre générations ?

R : Pas si c’est fait avec pédagogie. Le Premier ministre Navin Ramgoolam est un homme visionnaire. Il sait que nous devons penser à l’avenir. Les jeunes aussi doivent comprendre que garantir leur propre retraite passe par des réformes d’aujourd’hui. Ce n’est pas une fracture, c’est une transition.

Q : Votre sortie a-t-elle créé des tensions dans votre parti ? Avez-vous été recadré ?

R : Pas du tout. Le Parti Travailliste est un parti mature. Il y a de la place pour les opinions, tant qu’elles sont constructives. Je n’ai jamais été rappelé à l’ordre. Au contraire, on m’a écouté. Et les faits me donnent raison.

« On ne peut plus promettre ce qu’on ne peut pas payer »

Q : Avez-vous voulu envoyer un message politique à votre électorat, notamment aux seniors ?

R : J’ai parlé au nom de tous les Mauriciens, y compris mes mandants de la circonscription No 3. Je suis resté fidèle à mes convictions, et mon message était clair : on ne peut pas imposer un changement aussi majeur sans discussion. C’est une question de respect.

Q : Est-ce que cette prise de parole vous positionne pour 2026 comme une voix indépendante au sein de la majorité ?

R : Non. Je suis et je reste un membre loyal de l’équipe Ramgoolam. Je ne trace aucune ligne de rupture. Je trace des lignes de cohérence et d’écoute. Je ne travaille pas pour moi. Je travaille pour le pays.

Q : Si vous êtes mis à l’écart ou déçu par l’Alliance du Changement, envisageriez-vous de partir ?

R : L’Alliance du Changement m’a permis d’être élu. Je lui suis fidèle. J’ai confiance en mes dirigeants. Et j’ai été élu pour servir, pas pour exiger. L’idée ne m’effleure même pas.

«Ce n’est pas un gouvernement parfait, mais c’est un gouvernement qui écoute et qui agit. »

Q : Pensez-vous que l’Alliance du Changement incarne une vraie rupture, ou une continuité sous un autre nom ?

R : La différence est flagrante. Avant, les députés étaient bâillonnés. Aujourd’hui, on peut s’exprimer. Preuve : j’ai pu critiquer une mesure publiquement et cela a mené à des ajustements. Même le Premier ministre a désavoué une décision arbitraire du CEO de COREC sur un rassemblement. C’est ça, la vraie démocratie.

Q : Y a-t-il des principes ou des lignes rouges que vous défendriez au prix d’une rupture ?

R : Ma ligne rouge, c’est l’intérêt du peuple. Mais je suis convaincu que ce gouvernement, sous la direction de Navin Ramgoolam, agit dans cette direction. Nous n’épargnons aucun effort pour développer, réformer et améliorer la vie des Mauriciens.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *