À Crève-Cœur, au pied du Pieter Both, un jeune homme a choisi de grimper plus haut que la peur, plus haut que les nuages : Jayesh Lootooa, plus connu sous le nom de Jah Yesh, incarne une passion rare pour la montagne. Et c’est sur l’un des sommets les plus mythiques de Maurice qu’il a trouvé son terrain d’expression, son souffle, sa philosophie.
Le Pieter Both n’est pas une montagne comme les autres. Deuxième plus haut sommet de l’île après le Piton de la Petite Rivière Noire, il culmine à 820 mètres d’altitude et se dresse comme une sentinelle granitique surplombant les Plaines Wilhems et Moka. Avec sa fameuse tête ronde qui semble posée en équilibre instable, il attire les regards… mais intimide les jambes. Pour beaucoup, son ascension reste un rêve inaccessible. Pour Jayesh, elle est devenue une mission.
Depuis ces quelques dernières années, ce passionné de randonnée gravit le Pieter Both avec la régularité d’un métronome et la ferveur d’un poète. Il connaît chaque pierre, chaque prise, chaque variation de lumière sur les flancs escarpés de la montagne. Originaire du village de Crève- Cœur, blotti au pied du massif, il entretient avec ce lieu un lien viscéral. “La montagne, c’est chez moi”, aime-t-il répéter.
C’est à l’âge de 23 ans qu’il atteint pour la première fois le sommet, en compagnie du groupe Motrek. Ce jour-là, une révélation. “C’était mon cadeau d’anniversaire”, confie-t-il.
Depuis, il n’a cessé d’y retourner, emmenant avec lui plus de 300 randonneurs, tous guidés avec prudence, passion… et certitude.
Une ascension réservée aux audacieux
Mais attention : le Pieter Both n’est pas une randonnée du dimanche. C’est un parcours exigeant, vertigineux, réservé à ceux qui savent ce qu’ils font. Et Jayesh ne le cache pas : « Ce sommet n’est pas pour tout le monde. Il faut une excellente condition physique, de l’endurance, de la concentration… et surtout, ne jamais sous-estimer la montagne. »
Le sentier démarre dans la forêt, sinue à travers des pentes raides, puis se transforme en escalade pure dans la dernière section. À ce stade, les mains sont aussi sollicitées que les pieds. Le port du harnais, du casque, et l’utilisation de cordes statiques ou dynamiques deviennent indispensables pour franchir les parois et la célèbre « Tête du Pieter Both ».
Jayesh insiste : « Ce n’est pas de l’improvisation. Il faut du matériel d’escalade, des chaussures adaptées, une bonne hydratation et surtout un guide expérimenté. » Il faut aussi un mental d’acier. L’altitude, le vent, le vide : tout pousse à l’abandon. Mais c’est là, justement, que réside la magie de l’ascension. « Quand tu arrives en haut, tout s’arrête. Tu es suspendu entre ciel et terre. »
La montagne, école de vie
Au fil des années, Jayesh a compris que la montagne était bien plus qu’un sport. C’est un miroir. Elle reflète nos peurs, nos limites, mais aussi nos forces. Elle nous apprend l’humilité. Elle impose le silence intérieur. Et elle offre, à celui qui la respecte, une forme de transcendance.L’un de ses plus beaux souvenirs est celui d’un homme de 70 ans qu’il a accompagné jusqu’au sommet. « Il m’a dit, une fois en haut, qu’il rêvait de faire ça depuis l’enfance. Il avait attendu toute sa vie. Il m’a remercié les larmes aux yeux. » Ce moment, gravé à jamais dans sa mémoire, illustre la mission que s’est donnée Jah Yesh : rendre la montagne accessible, sans jamais la banaliser.
C’est d’ailleurs dans cette optique qu’il a lancé Hike avek Jah, une plateforme de randonnées guidées qui allie sécurité, pédagogie et immersion. Il s’est formé en sécurité en milieu naturel, possède les équipements homologués, et adapte chaque sortie au niveau du groupe. Il refuse de prendre des risques inutiles. “Mieux vaut redescendre que regretter”, dit-il avec sérieux.
Une passion qui dépasse les sentiers
Derrière le randonneur aguerri se cache un esprit profondément créatif. Ancien élève du John Kennedy College, diplômé en Sustainable Product Design de l’Université de Maurice, Jayesh a été graphic designer, enseignant, et créateur de contenu. Cette sensibilité artistique se retrouve dans ses publications, ses vidéos de randonnée, ses photos aux cadrages soignés, et même dans sa manière de parler de la montagne : avec poésie. Sur les réseaux sociaux, il partage ses aventures, mais aussi ses réflexions. Il y parle de nature, de respect de l’environnement, de développement personnel. Il sensibilise à la préservation des sentiers, à la nécessité de ne rien laisser derrière soi, ni déchets, ni traces.
Son slogan personnel, devenu une signature : “Chanro”. Un mot mystérieux, presque sacré, qui résume sa philosophie : vivre pleinement, faire le bien, vibrer avec le moment présent. Il le répète à ceux qu’il guide, à ceux qu’il inspire. Et ce mot résonne longtemps, bien après la descente.
Un symbole d’élévation
Aujourd’hui, Jah Yesh est plus qu’un guide. Il est devenu un passeur de sens, un ambassadeur de la nature mauricienne, un mentor pour la nouvelle génération de randonneurs. Il rappelle à tous que la montagne ne se conquiert pas — elle s’apprivoise. Elle ne s’offre qu’à ceux qui l’aiment sincèrement. Son parcours, entre terre et ciel, nous enseigne qu’aucune hauteur n’est trop grande lorsque l’on grimpe avec le cœur. Et si vous croisez, au détour d’un sentier, un homme au regard vif, au pas sûr, qui salue la montagne comme une vieille amie, c’est sans doute lui : Jah Yesh. Celui qui a fait du Pieter Both non seulement un sommet… mais une manière de vivre.




