Entretien avec Me Pazhany Rangasamy (GOSK), homme de loi et membre du board d’Air Mauritius.
À la veille du premier budget de l’Alliance du Changement, l’avocat et observateur politique tire la sonnette d’alarme : entre héritage explosif, justice grippée et attente populaire, le pays a besoin d’un traitement de choc… mais surtout de rigueur et de cohérence.
« L’ancien régime a saigné ce pays à blanc »
Vous parlez de coffres vides. N’est-ce pas devenu l’alibi politique préféré ?
Non. C’est la vérité. L’ancien régime a transformé les finances publiques en tiroir-caisse électorale. Résultat : le nouveau gouvernement hérite d’un pays exsangue. Il faut stopper l’hémorragie avant de penser à redistribuer.
La population n’a pas vu venir le souffle promis. Patience ou désillusion ?
Il faut être réaliste. On ne renverse pas dix ans de dérive en six mois. La colère est compréhensible, mais il faut du temps pour reconstruire. Le pays était au bord du gouffre. Là, on le stabilise.
La spéculation alimente la misère. Où est la réponse de l’État ?
L’État doit frapper fort. Blocage des prix, soutien à la production locale, sanctions contre les marges abusives. Et surtout, cesser de subventionner à l’aveugle. L’agriculture doit redevenir une priorité stratégique.
Services publics gratuits pour tous : est-ce encore viable ?
Pas sans ciblage. Ceux qui ont les moyens doivent contribuer. Les hôtels, les grandes surfaces, les multinationales doivent financer leur part. Ce n’est pas aux petits contribuables de tout porter.
« Le budget doit être un virage, pas une rustine »
Que doit apporter ce budget 2025-2026 ?
De l’oxygène. Pas des slogans. Il faut baisser le coût de la vie, protéger les plus vulnérables, et créer les conditions d’une relance réelle. Le peuple attend du concret, pas des vœux pieux.
Faut-il encore augmenter la pension de vieillesse ?
Je suis contre cette logique de surenchère. Offrons plutôt des soins gratuits, une pharmacie accessible et des aides ciblées. La dignité ne passe pas uniquement par un montant sur un chèque.
Les cliniques privées font exploser les factures. Silence radio ?
Ce silence est criminel. Il faut encadrer les prix, imposer des conventions et renforcer l’assurance publique. La santé ne doit pas être un luxe. Aujourd’hui, elle est inaccessible pour des milliers de familles.
Un budget de rupture ou de compromis ?
Les deux. Il faut rompre avec le gaspillage, mais accompagner la transition. Ce pays ne tiendra pas un autre choc brutal. Le budget doit être lucide, ambitieux, mais maîtrisé.
« Il faut refonder la justice, relancer Air Mauritius et reconstruire l’État »
Chagos : accord historique ou coup politique ?
C’est un tournant. Ce que l’ancien gouvernement n’a pas osé dire, le nouveau l’a signé. C’est notre souveraineté, et une compensation utile pour relancer des projets publics. Arrêtons les faux débats.
Air Mauritius peut-elle redevenir un fleuron ?
Oui, si l’on reste sur cette voie. L’ancienne direction a tué la compagnie à coups de favoritisme. Aujourd’hui, des décisions difficiles sont prises. Les résultats viendront. Il faut que les employés y croient aussi.
Pourquoi réformer d’urgence le judiciaire ?
Parce qu’il est devenu inaccessible. Trop lent, trop rigide, trop élitiste. Il faut créer une Cour d’appel, fluidifier les procédures et remettre l’humain au cœur du système. Aujourd’hui, c’est un parcours du combattant.
Le scandale NEF peut-il faire dérailler ce gouvernement ?
Il doit rester vigilant. Ne pas ouvrir les mêmes brèches. L’exemplarité n’est pas un luxe, c’est une obligation. Ce peuple n’accordera pas de seconde chance.
Ce gouvernement survivra-t-il jusqu’en 2029 ?
Oui, s’il reste fidèle à son mandat. Il a les compétences, il a la légitimité. Il faut juste livrer. Et vite. La patience des Mauriciens a ses limites.
Votre souhait pour le pays ?
Que la politique redevienne une promesse tenue. Que la justice soit un droit réel. Et que chaque Mauricien puisse vivre ici sans regretter d’être né sur cette île.