«  L’IA est un outil, pas une menace – mais il faut s’y préparer maintenant » : Evan Cheah, Executive Director Asia, Singapore Cooperation Enterprise

ByRédaction

July 23, 2025

Maurice amorce une réforme en profondeur de sa fonction publique, avec le soutien stratégique de la Singapore Cooperation Enterprise. Dans cet entretien exclusif, Evan Cheah, directeur exécutif Asie, revient sur l’expérience singapourienne, les défis à surmonter, le rôle crucial de la technologie et l’importance d’un engagement collectif durable. Une vision lucide et ambitieuse pour repenser l’État au service du citoyen.

Pourquoi une réforme de la fonction publique ?

Q. Monsieur Cheah, Maurice a sollicité l’accompagnement de la Singapore Cooperation Enterprise pour réformer sa fonction publique. Quelles sont les priorités identifiées jusqu’ici ?

R. Nous avons eu plusieurs rencontres constructives avec le ministre de la Fonction publique et son équipe. Un cadre stratégique pour la réforme a déjà été élaboré par les autorités mauriciennes, et notre mission à la Singapore Cooperation Enterprise (SCE) est de formuler des commentaires et des recommandations à ce sujet. Il s’agit d’une étape essentielle vers une amélioration durable de la prestation des services publics.

Une telle réforme est d’autant plus importante qu’elle permet de moderniser l’administration, d’accroître son efficacité et de répondre aux attentes croissantes des citoyens. Nous sommes enthousiastes à l’idée de travailler avec les autorités mauriciennes pour concrétiser cette vision.

Q. Que peut apporter l’expérience singapourienne à Maurice ?

R. Singapour a entamé un processus de réforme du secteur public en 1995. Cela fait maintenant trois décennies que nous avons lancé cette transformation en profondeur. Les résultats sont tangibles : une fonction publique plus performante, orientée vers les résultats, centrée sur le service au citoyen. Ce parcours n’a pas été de tout repos. Mais les leçons apprises peuvent aujourd’hui servir de référence pour Maurice, en tenant compte bien sûr de ses spécificités.Notre objectif est de partager nos bonnes pratiques, d’adapter les méthodes et de co-construire avec les acteurs locaux une stratégie de modernisation qui tienne compte de la réalité mauricienne.

Changer les mentalités, pas seulement les structures

Q. Vous insistez sur le fait que les réformes sont souvent douloureuses. Pourquoi ?

R. Parce qu’elles impliquent un changement profond, pas seulement des procédures mais aussi des comportements. Une réforme, c’est toujours un acte courageux. Cela signifie remettre en question certaines habitudes, repenser des façons de faire, réorienter des priorités.

Ce processus peut susciter des résistances, des craintes, parfois même des oppositions. Mais il est indispensable. Dans un monde en constante mutation, un gouvernement se doit d’être à la hauteur des défis contemporains. C’est pourquoi il faut que tous les niveaux de l’administration, des ministres jusqu’aux agents de terrain, soient partie prenante du changement.

Q. Et concrètement, comment encourager ce changement d’attitude ?

R. Le leadership est crucial. Il faut que les dirigeants incarnent la transformation. Ils doivent répéter inlassablement le message que le changement est non seulement nécessaire, mais bénéfique pour le pays. Il faut aussi savoir montrer les premiers résultats rapidement : cela motive, cela donne du sens.Avec le temps, les mentalités évoluent. Une administration plus efficace, plus transparente, plus proche des citoyens devient alors une source de fierté nationale.

Q. L’île Maurice présente-t-elle des spécificités particulières dans ce processus ?

R. Maurice est une société culturellement très diversifiée. Cette richesse implique également une pluralité d’attentes, d’héritages et de visions. Certaines habitudes, parfois ancrées depuis plusieurs décennies, peuvent freiner la dynamique de transformation. Mais cela ne veut pas dire que c’est impossible. Cela signifie simplement que le processus prendra du temps, et qu’il faudra accompagner les agents et les citoyens dans cette transition.

L’intelligence artificielle, une opportunité pour la jeunesse mauricienne

Q. Quel rôle peuvent jouer la technologie et l’intelligence artificielle dans cette réforme ?

R. Un rôle déterminant. L’IA est une réalité qu’aucun pays ne peut ignorer. Mais c’est une épée à double tranchant. Si elle est maîtrisée et bien utilisée, elle peut doper l’efficacité de l’administration, améliorer les services, créer de nouvelles opportunités. Mais si elle est mal comprise ou délaissée, elle peut aussi creuser les inégalités ou remplacer certains emplois.

D’où l’importance de former, très tôt, les jeunes Mauriciens à ces technologies. De leur offrir les outils, les connaissances, les compétences. Cela leur permettra de contribuer à l’essor du pays tout en bénéficiant eux-mêmes des retombées positives de la digitalisation.

Q. Et la cybersécurité dans tout ça ?

R. Elle est essentielle. Plus un gouvernement devient numérique, plus il est exposé. À Singapour, nous avons mis en place une agence spécifique pour la cybersécurité depuis une quinzaine d’années.

Nous pouvons accompagner Maurice dans la formulation d’une stratégie nationale en la matière, mais aussi dans la formation des compétences et la mise en place de systèmes de protection.

Face aux cybermenaces, aux tentatives de piratage, voire au cyberterrorisme, il est impératif d’être prévoyant. C’est une garantie pour la sécurité nationale, mais aussi pour la confiance des citoyens.

Rien n’est durable sans suivi et évaluation

Q. Une réforme, ce n’est pas seulement un décret ou un plan d’action. Comment garantir son succès dans la durée ?

R. Le suivi est fondamental. Sans évaluation, sans mécanismes de vérification, on ne peut pas savoir si l’on progresse vraiment. Trop souvent, des plans sont lancés avec enthousiasme, mais ne sont jamais mesurés, ajustés, améliorés.

Nous comptons justement travailler avec les autorités mauriciennes sur ce point : créer des indicateurs clairs, mettre en place des tableaux de bord, organiser des revues régulières. Il faut que la réforme soit vivante, qu’elle puisse s’adapter, rebondir, se renforcer.

« Le changement est souvent douloureux, mais absolument nécessaire »

Q. Cette dimension fera-t-elle partie de votre mission avec Maurice ?

R. Bien sûr. Ce partenariat avec le ministère de la Fonction publique n’en est qu’à ses débuts. Mais nous sommes prêts à accompagner le pays non seulement dans la conception des réformes, mais aussi dans leur mise en œuvre et leur suivi.

La réforme n’est pas une fin en soi. C’est un processus. Elle ne se mesure pas en discours, mais en résultats. Et ces résultats doivent être suivis, valorisés et, si besoin, corrigés.

Q. En conclusion, quel message souhaitez-vous adresser aux Mauriciens ?

R. La réforme publique est un pari sur l’avenir. C’est un engagement envers les générations futures. C’est une manière de dire : « Nous voulons un État plus juste, plus efficace, plus à lécoute. »Je suis convaincu que Maurice a les capacités humaines, la maturité politique et la richesse culturelle pour réussir ce pari. Nous serons à vos côtés dans cette démarche.

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