Comment 250 millions de roupies de fonds publics ont-ils pu être détournés sans qu’aucune banque ne tire la sonnette d’alarme ? L’enquête de la Financial Crimes Commission sur le scandale du reward money révèle une défaillance systémique, où les institutions financières censées protéger contre le blanchiment d’argent ont, au contraire, facilité le plus grand vol de l’histoire récente de Maurice.
L’Assistant Commissaire de Police Lilram Deal accumule 4,587 millions de roupies dans son compte joint. Le sergent Yeshdeo Seeboruth reçoit 19,3 millions. L’ACP Dunraz Gungadin effectue 14 retraits d’un million chacun en trois semaines. Pas un seul Rapport de Transaction Suspecte (STR) n’est déposé. Les Money Laundering Reporting Officers (MLRO) restent silencieux. La question qui hante ce scandale : où étaient les garde-fous bancaires ?
Le stratagème des informateurs fantômes
Le système était d’une simplicité criminelle. Des policiers sans lien avec la lutte antidrogue “découvraient” miraculeusement de la drogue dans des endroits isolés. L’inspecteur Mooniaruck, du bureau du Prosecution Office à Rivière-du-Rempart, dirigeait des opérations menant à des saisies spectaculaires : 2 kg de drogues synthétiques à Jin Fei, 700 g d’héroïne à Cité-La-Cure, 541 g de cannabis à Riche-Terre. Valeur totale : plus de 15 millions de roupies. Nombre d’arrestations : zéro.
Ces officiers réclamaient ensuite le reward money pour leurs “informateurs”. L’ancien commissaire Anil Kumar Dip, qui avait amendé le Standing Order 122 pour permettre des paiements avant décision judiciaire, approuvait sans vérification. Le Manager of Financial Operations traitait les demandes sur la base d’une simple déclaration : “Je certifie que l’informateur a été payé”. L’argent transitait alors du Consolidated Fund directement vers les comptes personnels des officiers.
L’aveuglement coupable des banques
Le Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act (FIAMLA) et le manuel AML/CFT de la FSC sont clairs : les MLRO sont “ultimement responsables de la détection des transactions liées au blanchiment d’argent”. Les banques doivent vérifier la source des fonds, particulièrement pour les Personnes Politiquement Exposées comme les hauts gradés de la police. Toute transaction disproportionnée au revenu connu doit déclencher une alerte.
Pourtant, quand des millions affluent dans les comptes d’officiers dont le salaire mensuel ne dépasse pas 100 000 roupies, les compliance officers choisissent l’aveuglement. Pire encore, ces officiers n’étaient même pas affectés à l’Anti-Drug and Smuggling Unit. Deal dirigeait la Counter Terrorism Unit. Mooniaruck travaillait au Prosecution Office. Comment justifier des rewards antidrogue pour des officiers sans lien avec cette lutte ?
Les FIAML Regulations 2018 exigent une évaluation au cas par cas des risques de blanchiment. Quand le sergent Seeboruth, surnommé “Sofer Misie-la” et connu pour fréquenter assidûment le Champ-de-Mars avec un ACP amateur de paris, accumule 19,3 millions, aucune banque ne s’interroge sur un possible blanchiment par le jeu.
La chaîne d’autorisation mystérieuse
Qui a ordonné aux banques d’exécuter ces transferts du Consolidated Fund vers des comptes privés ? Le processus normal voit le Parlement allouer le budget, le bureau du Premier ministre approuver des allocations mensuelles de 500 000 roupies, et le Commissaire autoriser des paiements spécifiques. Mais comment des déboursements atteignant 250 millions ont-ils pu être effectués quand le budget annuel était de 5,5 millions ?
Les banques ont accepté des instructions de paiement sans questionner pourquoi le reward money allait directement aux officiers plutôt qu’aux informateurs. Aucune vérification de l’existence réelle de ces informateurs. Aucune demande de justificatifs. Le cas le plus flagrant : l’ASP Faraaz Mooniaruck approuve 3 millions pour une substance qui s’avère ne pas être de la drogue. Le paiement était déjà sur son compte avant les résultats du laboratoire.
Le « Jackpot » de 30 Millions
L’enquête révèle maintenant un cas surnommé le “jackpot de 30 millions” — une transaction unique si massive qu’elle défie toute explication rationnelle. Comment une telle somme peut-elle transiter sans déclencher les systèmes automatiques de détection que toute banque moderne possède ? La réponse suggère soit une incompétence criminelle, soit une complicité active.
La visite récente du FBI au siège de la FCC souligne les implications internationales. Avec des soupçons de transferts à l’étranger, comme dans l’affaire Silver Bank où 175 millions auraient immédiatement quitté le pays, le scandale menace la réputation de Maurice comme centre financier.
Responsabilités et Conséquences
Sous FIAMLA, le défaut de signaler des transactions suspectes est une infraction pénale. Les MLRO encourent une responsabilité personnelle. Les banques risquent des sanctions sévères et la révocation de licence. Pourtant, face à 250 millions détournés, pas un seul STR n’a été déposé.
La FSC doit maintenant expliquer comment ses directives ont pu être si massivement ignorées. Les banques doivent justifier leur aveuglement face à des enrichissements impossibles. Les MLRO doivent répondre de leur silence complice.
Réformes Urgentes
- Surveillance en temps réel de tous les comptes des forces de l’ordre.
- Alertes automatiques pour toute transaction dépassant le salaire mensuel.
- Traçabilité blockchain du Consolidated Fund aux bénéficiaires finaux.
- Responsabilité pénale personnelle des MLRO défaillants.
Le scandale du reward money n’est pas qu’une affaire de corruption policière. C’est la preuve que le système censé protéger contre le blanchiment d’argent a plutôt servi à le faciliter. Quand des informateurs fantômes enrichissent des officiers réels sous le regard aveugle des banques, c’est toute l’intégrité du système financier mauricien qui est en question.
La vérité brutale : 250 millions volés, zéro alerte bancaire. Dans cette équation se trouve la condamnation d’un secteur bancaire qui a choisi la complicité plutôt que la conformité.