Morgues à saturation : 65 corps non réclamés dans les hôpitaux publics

ByRédaction

July 31, 2025

C’est une réalité troublante qui se joue loin des regards : les morgues des hôpitaux publics à Maurice débordent de corps non réclamés. À ce jour, 65 cadavres attendent, parfois depuis plusieurs mois, que quelqu’un vienne les identifier ou les prendre en charge. Ces morts oubliés soulèvent des questions éthiques, sociales et logistiques, tant pour les établissements de santé que pour les autorités concernées.

Des chiffres qui glaçent

Selon les données recueillies auprès du ministère de la Santé, l’hôpital Victoria, à Candos, est le plus affecté, avec 25 corps en attente, dont 21 mort-nés. Viennent ensuite l’hôpital Jawaharlal Nehru avec 13 cadavres, le Sir Seewoosagur Ramgoolam National Hospital (SSRN) à Pamplemousses avec 10, le Dr Bruno Cheong Hospital (SAJ) à Flacq avec 12, et l’hôpital Brown Sequard à Beau-Bassin avec 5 corps non réclamés.

La plupart de ces défunts ont été identifiés. Certains portaient sur eux des pièces d’identité, d’autres ont été reconnus par la police ou les services hospitaliers. Pourtant, aucune famille ne s’est manifestée. D’autres corps demeurent anonymes, sans nom, sans passé, comme des vies effacées de la mémoire collective.

Des histoires derrière les chiffres

Les raisons de cet abandon post-mortem sont diverses. Dans certains cas, les familles vivent à l’étranger, sans contact avec la personne décédée depuis des années. D’autres concernent des personnes sans domicile fixe, des patients psychiatriques décédés à Brown Sequard ou encore des travailleurs étrangers dont les proches sont difficilement joignables. Les cas les plus poignants sont ceux de personnes marginalisées de leur vivant, invisibles aux yeux de la société. Un responsable hospitalier, sous couvert d’anonymat, confie : « Certains corps sont ici depuis plus de trois mois. Les morgues sont pleines. Ce n’est pas seulement un problème de logistique, c’est aussi un fardeau émotionnel pour le personnel. »

Des protocoles, mais trop de lenteurs

Le ministère de la Santé dispose pourtant de procédures pour traiter ces situations. Lorsqu’un corps n’est pas réclamé dans un délai raisonnable — généralement un mois — un avis est transmis à la police, et un rapport est soumis au Directeur des Poursuites Publiques. Ce dernier doit alors délivrer une autorisation d’enterrement, en coordination avec les municipalités ou les conseils de district.

Un autre protocole existe également : certains cadavres non identifiés peuvent être utilisés à des fins de formation du personnel médical. Dans ce cas, des règles strictes encadrent l’utilisation des corps à des fins pédagogiques, dans le respect de l’éthique médicale.

Mais dans la pratique, ces démarches sont souvent longues. Les hôpitaux doivent parfois attendre plusieurs semaines, voire des mois, avant que les enterrements ne soient effectués. Résultat : les morgues atteignent rapidement leur capacité maximale, au détriment de la bonne gestion des nouveaux décès.

Un système à repenser ?

Face à cette situation alarmante, plusieurs professionnels de santé réclament une réforme du processus. « Il faut instaurer un délai clair. Passé 30 ou 45 jours sans réclamation, l’enterrement doit être automatique, dans le respect de la dignité humaine. Et cela sans passer par des procédures bureaucratiques interminables », plaide un médecin légiste.

Des ONG militent également pour la création d’un cimetière symbolique, où les corps non réclamés pourraient être inhumés dignement, avec une simple stèle et un numéro d’identification. Une façon de redonner à ces défunts oubliés une dernière trace dans ce monde. Ces corps oubliés nous rappellent une réalité que l’on préfère souvent ignorer : celle des laissés-pour-compte, de ceux qui meurent seuls, sans proches, sans adieux. Au-delà des problématiques hospitalières, c’est une interpellation sur notre modèle social. Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils seuls ? Et surtout, que dit leur silence sur notre humanité collective?

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