Job fairs à Madagascar, ouvriers venus d’Inde et du Népal, et des centaines de postes à pourvoir dans presque tous les secteurs. Maurice se tourne massivement vers la main-d’œuvre étrangère pour combler un vide laissé par une jeunesse en quête d’ailleurs. Derrière ces recrutements à l’international, une réalité économique, sociale et culturelle s’impose : les Mauriciens ne veulent plus faire certains métiers,
ou ne sont tout simplement plus là pour les faire.
Ce mois-ci, le gouvernement mauricien, en partenariat avec plusieurs entreprises du secteur privé, organise un Job Fair à Antananarivo, la capitale malgache. Objectif : recruter 800 travailleurs dans les secteurs de l’hôtellerie, du textile, de la sécurité, de la construction et de l’industrie agroalimentaire. « Nous avons besoin de bras pour faire tourner nos usines, nos hôtels et nos chantiers. Nous faisons face à un déficit de main-d’œuvre local, malgré tous nos efforts de recrutement interne », confie un
responsable du ministère du Travail.
Les profils recherchés sont variés : serveurs, femmes de chambre, ouvriers d’usine, agents de sécurité, cuisiniers, aides à domicile… autant de postes considérés comme pénibles, mal payés ou dévalorisés aux yeux de nombreux Mauriciens. Les entreprises promettent des salaires décents, des conditions de logement convenables et des contrats en bonne et due forme.
Mais ce n’est pas une première. Maurice a déjà tissé depuis longtemps des liens avec le marché malgache. Des milliers de Malgaches travaillent déjà dans l’industrie textile locale ou dans des hôtels sur la côte. La nouveauté, c’est l’ampleur de ce recrutement. Jamais autant de postes n’avaient été ouverts en une seule opération.
Ouvriers népalais et chauffeurs indiens : des renforts vitaux
Dans le bâtiment, le même phénomène se répète. Les maçons et chauffeurs du Népal et de l’Inde sont devenus la norme sur les chantiers de l’île. Sur le port, dans les zones industrielles, dans les hôtels ou les nouvelles infrastructures routières, les langues parlées ne sont plus seulement le créole ou l’anglais, mais aussi l’hindi, le népalais ou le malgache.
« Ils travaillent dur, acceptent les conditions que les Mauriciens refusent, et ils sont fiables », dit un chef de chantier à Côte d’Or. « Ce n’est pas une question de préférence, c’est une question de survie économique. Si je ne les prends pas, je n’ai personne. »
L’arrivée de ces travailleurs est encadrée par des accords bilatéraux, des contrats supervisés par les autorités et des agences de placement sous contrôle. Pourtant, sur le terrain, des tensions sociales et des cas d’abus subsistent, en particulier en matière de logement, de traitement salarial ou de conditions de travail.
Mais pourquoi les Mauriciens ne veulent plus de ces emplois ?
C’est la question centrale de ce débat. Le constat est unanime : les Mauriciens, surtout les jeunes, ne veulent plus exercer ces métiers physiques, considérés comme ingrats ou sans avenir. « On a formé des jeunes au métier de soudeur. Au bout de deux semaines, plus personne ne venait. Trop dur, trop chaud, pas assez payé », raconte un formateur . Dans l’hôtellerie, le turn-over est devenu un problème chronique. Dans la restauration, les candidatures locales se font rares. Dans la sécurité ou le nettoyage, les Mauriciens décrochent à peine embauchés.
Mais au-delà de la fatigue physique ou de la pénibilité, c’est une question de perception sociale : ces étiers sont souvent mal vus, assimilés à une forme de précarité ou d’échec personnel. Pour beaucoup, « réussir sa vie », c’est partir travailler au Canada, à Dubaï, en Australie ou en Europe .
C’est l’un des grands paradoxes du pays. Alors que Maurice fait venir de la main- d’œuvre étrangère en masse, elle perd simultanément une partie de sa population active vers l’étranger. Chaque mois, ce sont des dizaines de jeunes professionnels, diplômés, qualifiés ou même ouvriers, qui s’envolent pour le Canada, le Royaume- Uni ou l’Australie. Le programme de Résidence Permanente canadienne, les contrats d’aide-soignants en France, les offres dans le bâtiment en Australie ou les postes en cuisine à Dubaï séduisent de plus en plus.
Un ex-infirmier du Nord, aujourd’hui installé à Québec, témoigne : « À Maurice, je gagnais Rs 25 000 avec des heures impossibles. Ici, je suis à l’aise, j’ai un avenir, et je peux envoyer de l’argent à ma famille. » Le récit est répété, inlassablement, par ceux qui ont franchi le pas.
Ce phénomène met à rude épreuve certains secteurs cruciaux comme la santé, l’éducation, l’ingénierie, le transport ou encore l’agriculture. Et l’ironie est là : pour former les jeunes au départ, le pays investit… et voit ensuite son capital humain s’évaporer.
L’exode mauricien : la fuite vers le rêve occidental
Pour le gouvernement, le recours à la main-d’œuvre étrangère est devenu un levier vital pour ne pas étouffer l’économie. Le secteur privé pousse dans ce sens, tout en appelant à une modernisation des processus, des permis de travail plus rapides, et une meilleure intégration des travailleurs étrangers. Ce qui manque peut-être le plus aujourd’hui, c’est une revalorisation culturelle et économique du travail manuel et des métiers essentiels. Le discours politique met souvent l’accent sur les carrières intellectuelles, les services financiers, l’entrepreneuriat ou la technologie — mais les piliers de l’économie quotidienne, eux, s’effondrent faute de main-d’œuvre locale. « Il faut réconcilier les jeunes avec la réalité du travail. Redonner de la fierté aux métiers dits de base. Sans eux, il n’y a pas de pays qui fonctionne », martèle un sociologue.
La ruée vers la main-d’œuvre étrangère et l’exode mauricien sont deux faces d’une même pièce. Elles révèlent une société en mutation, en perte de repères productifs, où le rêve de départ supplante l’engagement local.
Maurice importe des bras… pendant que ses têtes s’envolent. Il faudra, tôt ou tard, réconcilier aspiration et contribution, rêve individuel et construction nationale. Sans cela, l’économie tiendra peut-être, mais l’identité du travail mauricien, elle, risque de se dissoudre peu à peu.