• Rs 1 million en liquide par jour, validés par la Banque de Maurice à quelques jours des élections
• Des fonds publics évaporés jusqu’à Dubaï… sans aucune traçabilité
• Les heures de l’ancien Commissaire de police Dip sont désormais comptées
• Le DCP Bhojoo identifié comme coordinateur central
• Soupçons accablants d’un financement illégal de la campagne du MSM
Un million de roupies. Chaque jour. En liquide. C’est la somme faramineuse que l’Assistant Commissaire de Police (ACP) Dunraz Gungadin retirait quotidiennement à la Banque (avec l’autorisation de la Banque de Maurice) à la veille des élections générales de 2024. Ces retraits étaient effectués au moyen de chèques signés par l’Accountant General et autorisés par l’ancien Commissaire de Police, Anil Kumar Dip. Officiellement, ils devaient servir à des « opérations sensibles » dans le cadre du Reward Money Scheme.
Mais selon nos informations, aucun rapport d’opération ni preuve de versement à des informateurs ne vient justifier ces paiements. Pire encore, ces fonds auraient été redirigés vers des circuits parallèles, sans aucune traçabilité. Le mécanisme, conçu à l’origine pour récompenser les informateurs dans les affaires criminelles, semble avoir été transformé en véritable caisse noire politique.
À quoi a vraiment servi cet argent ?
Les retraits massifs en espèces ont eu lieu dans les semaines qui ont précédé les élections générales. Trop de coïncidences pour les enquêteurs. L’hypothèse d’un financement occulte de la campagne du Mouvement Socialiste Militant (MSM) prend désormais de l’épaisseur.
La série de retraits est édifiante : 14 retraits d’un million de roupies, soit Rs 14 millions, entre le 18 octobre et le 7 novembre 2024. Les dates précises de ces retraits font froid dans le dos :
• Octobre : 18, 21, 22, 23, 24, 25, 28, 29, 30
• Novembre : 1er, 4, 5, 6, 7
Selon des témoignages recueillis par la Financial Crimes Commission (FCC), des agents en civil auraient été mobilisés pour des « missions politiques » dans certaines circonscriptions jugées sensibles. Des enveloppes auraient été distribuées pour couvrir des « frais de terrain », sans aucun justificatif administratif.
Dip, Gungadin et Bhojoo : un trio au cœur du système
L’enquête cible désormais trois figures centrales de la hiérarchie policière :
• Anil Kumar Dip, ancien Commissaire de Police, aurait personnellement validé les retraits quotidiens. Son arrestation semble imminente. Des documents internes confirment qu’il a donné des instructions précises pour que la Banque de Maurice procède aux décaissements.
• ACP Dunraz Gungadin, considéré comme le principal exécutant, se présentait chaque jour à la Banque pour retirer Rs 1 million en espèces.
• DCP Bhojoo, jusqu’ici resté discret, serait le coordinateur logistique du système. Il aurait supervisé la distribution des fonds, notamment vers des officiers de terrain.
Une Banque centrale silencieuse… mais compromise
La Banque de Maurice est désormais sous le feu des projecteurs. Comment expliquer qu’elle ait validé ces retraits journaliers sans émettre un seul Suspicious Transaction Report (STR) ? Pourquoi n’a-t-elle pas alerté la Financial Intelligence Unit ou d’autres autorités compétentes, en pleine période électorale ?
L’argument d’une « désignation spéciale » ne tient plus. Aucun document formel ne justifie de tels décaissements. Les services de conformité de la Banque centrale sont aujourd’hui dans le viseur des enquêteurs.
De Port-Louis à Dubaï : la fuite des millions
Nouvelle piste d’enquête : des fuites de fonds vers Dubaï. Les déplacements répétés, en classe affaires, du sergent Yeshdeo Seeboruth intriguent la FCC. En 2023, il a voyagé à Dubaï à quatre reprises, souvent avant ou après l’arrestation de trafiquants de drogue notoires comme les frères Ghurobby et Navin Kisnah.
Les vols identifiés :
• 12 février – Vol EK704
• 18 juillet – Vol EK702
• 2 septembre – Vol EK704
• 23 octobre – Vol EK702
D’autres voyages tout aussi suspects ont été recensés : Johannesburg, Marseille, Seychelles, Mumbai… toujours en classe affaires, sans lien apparent avec ses fonctions officielles.
Officiellement simple sergent administratif, Yeshdeo Seeboruth est aujourd’hui au cœur d’un circuit bancaire trouble. Treize chèques à son nom, pour un total d’environ Rs 19 millions, ont transité sur son compte personnel entre 2020 et 2024.
Les montants, systématiquement en dessous du seuil de déclaration automatique, semblent avoir été volontairement fragmentés pour éviter toute alerte. Certaines fiches de paiement font référence à des numéros d’enquêtes inexistants ou à des affaires mineures (vols, agressions). Trois dossiers prétendument liés à la brigade antidrogue… n’ont jamais existé.
La fin de l’omerta, plus proche qu’on ne le pense…
La réforme discrètement introduite fin 2021 par Anil Kumar Dip a tout changé. En élargissant les plafonds de paiement du Reward Money Scheme et en allégeant les procédures de vérification, l’ancien Commissaire de Police a ouvert une brèche béante dans le système. Aucun mécanisme de contrôle renforcé n’a été mis en place. Résultat : une poignée de hauts gradés a pu détourner méthodiquement des fonds publics, sous couvert de la lutte contre la criminalité.
L’affaire Reward Money dépasse largement la fraude administrative. Elle met en lumière un système organisé de détournement de fonds publics, avec des ramifications politiques. L’enquête de la FCC estime à Rs 250 millions le montant total siphonné entre 2020 et 2024.
Les arrestations s’enchaînent. Mais les véritables donneurs d’ordres n’ont, à ce jour, pas encore été inquiétés.Dans l’opinion publique, la colère monte. Une question brûle toutes les lèvres : cet argent a-t-il été utilisé pour acheter des votes ?
Des interrogations émergent sur un éventuel financement non déclaré impliquant le MSM et orchestré par des agents de l’État.La classe politique, elle, reste silencieuse. Mais la FCC continue de remonter les flux, de décortiquer les comptes, de recouper les témoignages.
La chute d’Anil Kumar Dip pourrait bien n’être que le premier domino.