Loin des discours lénifiants, le Senior Lecturer en économie Sanjay Matadeen livre une analyse sans détours du premier budget de l’ère Ramgoolam. Réformes courageuses, fiscalité repensée, retraite repoussée et fracture sociale : il décrypte un texte qui, selon lui, marque un tournant historique dans la gouvernance économique du pays. Interview coup de poing.
Ce budget, vous l’avez digéré ou vous sentez encore l’amertume ?
Sanjay Matadeen : Je l’ai digéré, oui. Mais je comprends que pour certains, il passe de travers. Ce n’est pas un budget sucré, ni enjôleur. Il est franc, brut, parfois dur. Mais nécessaire. Il fallait trancher dans le vif. La situation économique est grave. On ne pouvait plus faire semblant.
JDD : Qu’est-ce qui vous frappe le plus ?
Matadeen : Le ton. « Trop longtemps, nous avons reporté les réformes difficiles »… Cette phrase change tout. C’est un budget de rupture. Pas de pansement, pas de poudre aux yeux. On assume enfin que le système de pension universelle n’est plus tenable. On simplifie la fiscalité. On réduit les gaspillages. On demande aux plus riches de contribuer plus. C’est sain.
‘’On ne relancera pas l’économie avec de vieilles recettes’’
JDD : Mais il y a de la douleur dans ce budget, non ?
Matadeen : Évidemment. Relever l’âge de la retraite, supprimer certaines allocations, couper des avantages : ça dérange. Personne n’aime qu’on touche à ses acquis. Mais continuer comme avant, c’était courir à la catastrophe. À un moment, il faut choisir entre plaire ou agir.
JDD : Le fruit est sain… ou il y a du ver dans le budget ?
Matadeen : Le fruit est sain, mais il est acide. Pas tout le monde l’avalera de bon cœur. Le problème n’est pas dans les mesures, mais dans l’exécution. Le budget peut être bien conçu, mais s’il n’est pas mis en œuvre efficacement, il échouera. L’histoire de Maurice est remplie de bonnes intentions mal appliquées.
JDD : Passer la retraite à 65 ans, c’est juste ou c’est brutal ?
Matadeen : C’est un choc, mais c’est juste. On vit plus longtemps, il faut adapter le système. Sinon, on vide les caisses pour de bon. L’alternative aurait été de réserver la pension à ceux qui en ont vraiment besoin – un means test. Mais on n’a pas les outils administratifs pour ça. Donc on allonge l’âge, progressivement. C’est logique.
JDD : Certains disent que c’est un budget de riches… d’autres un budget de pauvres. Qui a raison ?
Matadeen : Ni l’un ni l’autre. C’est un budget de réalistes. Les riches paieront plus, via les dividendes, la taxation plus progressive, la fin de certains avantages. Les plus pauvres sont protégés, notamment avec la TVA à 0 % sur les produits de base. On recentre les priorités. Ce n’est pas parfait, mais c’est plus juste.
« Le budget met fin à une décennie de mensonges »
JDD : Vous parlez de fiscalité plus progressive. C’est du concret ou juste une belle phrase ?
Matadeen : C’est concret. Trois tranches d’impôt (0 %, 10 %, 20 %), ça clarifie les choses. Ceux qui gagnent peu ne paient rien. Ceux qui gagnent plus, contribuent plus. Et on introduit une forme de solidarité fiscale : dividendes, grosses fortunes, secteurs rentables comme les banques ou l’immobilier paieront davantage. C’est un virage important.
JDD : Parlons pouvoir d’achat. Est-ce que les Mauriciens vont respirer un peu ?
Matadeen : À court terme, un peu. L’inflation est en baisse, autour de 2,6 %. Il y a un fonds de stabilisation des prix de Rs 10 milliards, et une TVA à 0 % sur les produits de base. Ce n’est pas miraculeux, mais c’est utile. Par contre, sans vraie concurrence sur les marchés, les prix resteront hauts. Il faut renforcer la Competition Commission et libérer les circuits de distribution.
JDD : Et les entreprises ? Ce budget leur donne envie d’investir ou de fuir ?
Matadeen : Il remet les pendules à l’heure. L’ancien modèle basé sur la consommation, les subventions et les passe-droits était malsain. Aujourd’hui, on parle de productivité, d’innovation, d’environnement d’affaires. On réforme l’EDB, on stabilise les indicateurs. Les investisseurs aiment la stabilité, pas les cadeaux. Ce budget va dans le bon sens.
« L’heure n’est plus aux promesses, mais aux preuves »
JDD : La croissance, vous y croyez ?
Matadeen : Oui, mais pas sans effort. Le gouvernement prévoit entre 3,5 % et 4 %. Mais pour y arriver, il faudra régler plusieurs blocages : pénurie de main-d’œuvre, lenteur administrative, réforme des institutions. Et surtout, arrêter de simplement annoncer des projets. Il faut livrer. Sinon, la confiance retombera.
JDD : Et le numérique, l’IA… vous y voyez un levier ou une illusion ?
Matadeen : C’est un levier, mais il faut du concret. Le budget parle beaucoup de digital, d’IA, de transformation technologique. C’est bien. Mais il faut des compétences, des infrastructures, et un vrai plan. Sinon, ce sera une énième stratégie morte-née.
JDD : En un mot, ce budget, c’est quoi pour vous ?
Matadeen : C’est un électrochoc. Un retour à la réalité. Il dérange, il impose, il exige. Mais il remet la maison en ordre. Et surtout, il dit la vérité au pays. Après des années d’illusion, c’est salutaire.
« Des annonces, il y en a eu… maintenant, il faut livrer »
JDD : Et si ça rate ?
Matadeen : Alors, on retombera. Et cette fois, plus bas. Le peuple ne tolérera pas une autre décennie de tromperies. Le gouvernement doit réussir. Il n’a plus le droit à l’erreur.
JDD : Un dernier mot ?
Matadeen : Le budget ne fera pas tout. Il faudra des institutions fortes, des personnes compétentes, et un sens du devoir retrouvé. Le pays ne se relèvera pas sans courage collectif. Le temps des assistés est terminé. L’heure est à la responsabilité.