Îlot Gabriel asphyxié : déchets et tourisme de masse menacent le sanctuaire

ByRédaction

June 16, 2025

Ce joyau naturel au large de la côte nord de Maurice, longtemps épargné par la frénésie du développement, est aujourd’hui menacé par les excès d’un tourisme de masse mal encadré. Ce qui devrait être une réserve protégée risque de suivre le chemin tragique de l’île aux Bénitiers. Il est encore temps d’agir, mais la fenêtre se referme dangereusement.

Classé réserve naturelle, l’îlot Gabriel est un petit territoire de biodiversité, réputé pour son littoral sauvage, son sable blanc éclatant, et son lagon turquoise. Mais cette beauté en fait aussi une cible idéale pour les opérateurs touristiques. Jusqu’à 20 catamarans y accostent chaque jour, déversant jusqu’à 150 touristes sur ses plages, sans gestion stricte ni accompagnement écologique.

Narainsamy Ramen, fondateur de la Dodo Live Foundation, tire la sonnette d’alarme. « Ce lieu est en train de mourir à petit feu. Bouteilles vides, plastiques, mégots de cigarette… les déchets s’accumulent. Et le récif corallien autour de l’île, jadis foisonnant de vie, est maintenant presque désertique. » Ce constat, partagé par plusieurs biologistes marins, n’a rien d’exagéré : les poissons se font rares, les coraux sont blanchis, et les espèces nicheuses comme les tropicbirds sont de plus en plus perturbées.

Le sort du White-tailed Tropicbird

Au centre de cette alerte écologique, une espèce emblématique : le White-tailed Tropicbird, ou Paille-en-queue à queue blanche. Ce majestueux oiseau marin, que l’on retrouve parfois dans le ciel mauricien, est un symbole vivant de l’océan Indien. Sa longue plume arrière, semblable à un ruban blanc flottant, incarne la légèreté et la grâce.

Mais cet oiseau ancestral, qui niche à même le sol ou dans des anfractuosités rocheuses, est particulièrement vulnerable explique Narainsamy Ramen. Il suffit que des visiteurs s’approchent trop près, ou que des animaux envahissants comme les chats errants soient introduits, pour que l’oiseau abandonne son nid. Une fois, deux fois, et c’est toute une génération qui disparaît. Des siècles d’évolution balayés en quelques semaines de nonchalance humaine. Les fossiles indiquent que ces oiseaux ont probablement colonisé Maurice il y a des millions d’années. Leur présence précède la nôtre. Leur disparition serait un effacement brutal d’un pan entier de notre patrimoine naturel.

Vers une répétition du scénario de l’île aux Bénitiers ?

L’île aux Bénitiers, elle aussi prisée autrefois pour sa beauté, est aujourd’hui un exemple criant de surexploitation touristique incontrôlée : déchets flottants, nuisances sonores, disparition d’espèces. Faut-il que l’’îlot Gabriel suive cette trajectoire pour que les autorités réagissent ?

« Nous avons encore une chance, mais elle se réduit chaque jour », avertit la Dodo Live Foundation. La situation appelle à des décisions fermes, immédiates, et courageuses. Il ne s’agit pas d’arrêter tout tourisme, mais de poser des garde-fous : des règles strictes, des quotas journaliers, un encadrement écologique, et une surveillance constante.

Propositions concrètes pour éviter le point de non-retour

  1. Contrôle du nombre de visiteurs
    Fixer un seuil maximal de 100 personnes par jour, sur inscription préalable, avec rotation des opérateurs agréés.
  2. Encadrement par des guides formés
    Chaque groupe devrait être accompagné d’un guide certifié en écotourisme, sensibilisé à la protection des espèces locales et capable d’imposer un comportement respectueux.
  3. Création de zones de tranquillité
    Délimiter clairement les zones de nidification, les sentiers autorisés, et interdire l’accès à certaines parties sensibles de l’île.
  4. Zéro déchet, zéro plastique
    Interdiction formelle de transporter des plastiques à usage unique sur l’île. Mise à disposition de poubelles sécurisées et obligation de rembarquer tous les déchets.
  5. Surveillance par la National Coast Guard
    La garde côtière mauricienne doit être impliquée pour assurer la surveillance du site. Des patrouilles régulières doivent être instaurées pour décourager les comportements destructeurs.
  6. Moniteurs environnementaux permanents
    Employer des biologistes ou éco-volontaires pour observer l’évolution de la biodiversité, collecter des données et proposer des mesures adaptatives.
  7. Campagne de communication nationale
    Il est urgent de faire comprendre aux Mauriciens et aux touristes que l’îlot Gabriel n’est pas un parc d’attractions. C’est un sanctuaire.

Une nouvelle vision du tourisme

Le défi est de taille : transformer un tourisme de consommation rapide en un écotourisme responsable. Cela demande une refonte du modèle économique actuel, dominé par la logique du volume et du profit à court terme. Mais d’autres îles du monde ont réussi ce virage : les Seychelles, certaines zones de la Polynésie, ou même Rodrigues sur certains sites.

Gabriel peut devenir un modèle de gestion durable, un site pilote où la beauté naturelle s’offre à la contemplation et non à la destruction. Les opérateurs peuvent y trouver leur compte en offrant une expérience premium, authentique, et éthique — à un public prêt à payer davantage pour une immersion respectueuse.

Le sort de l’îlot Gabriel n’incombe pas uniquement aux autorités. Chaque visiteur, chaque opérateur, chaque citoyen a un rôle à jouer. Les écoliers mauriciens devraient y être invités dans le cadre d’excursions éducatives. Les touristes doivent signer une charte de bonne conduite. Et les autorités doivent montrer l’exemple en appliquant la loi sans complaisance.

Dernier avertissement

Si rien n’est fait, l’îlot Gabriel pourrait bien devenir, comme l’île aux Bénitiers, un symbole de la négligence environnementale mauricienne. Mais il peut aussi, si la mobilisation est rapide et déterminée, devenir un symbole de renouveau, de respect et de fierté écologique. Il ne s’agit plus de choisir entre nature et tourisme. Il s’agit de décider quel type de tourisme nous voulons promouvoir, et quel héritage nous voulons laisser.

Le ciel au-dessus de l’îlot Gabriel est encore traversé par le vol blanc des Paille-en-queue. Mais pour combien de temps encore ?