Rs 400. C’est le prix auquel un policier a troqué son uniforme contre le soupçon, son serment contre un billet froissé. Une somme dérisoire, mais un symbole glaçant : celui d’une fonction publique parfois tentée par la compromission, dans le silence complice du quotidien.Le policier Kasory S., reconnu coupable d’avoir sollicité un pot-de-vin en 2009, a vu sa peine réduite à six mois de prison par la Cour suprême, quinze ans plus tard. Motif : le temps.
Non pas la gravité du geste, non pas la trahison d’un engagement sacré, mais le simple passage du temps. Et c’est précisément cela qui interroge, indigne, inquiète.
La justice, rappelons-le, n’est pas une mécanique de prescription. Elle est, ou devrait être, l’expression inébranlable de la conscience collective. Lorsqu’un agent de la loi fléchit, c’est tout l’édifice qui vacille. Lorsqu’un policier commet une infraction, ce n’est pas juste la loi qu’il viole : c’est l’idée même d’autorité juste qu’il piétine.
Ce n’est pas un fait divers. C’est un signal
Un signal que quelque chose se fissure dans le pacte républicain. Qu’au bord de la route, face au gyrophare, ce n’est plus seulement la contravention que l’on redoute, mais parfois la négociation à huis clos. Que la confiance s’effrite, lentement, insidieusement, entre les automobilistes et ceux qui sont censés les protéger.
Or, dans ce climat d’érosion morale, 400 nouveaux policiers font faire leur entrée dans la force. Qu’allons-nous leur dire ? Que la République les accueille dans une institution où la corruption peut se solder à moitié prix ? Que l’indulgence se monnaie avec le temps ? Non. Ce n’est pas l’héritage qu’ils méritent. Ce n’est pas l’uniforme qu’ils doivent porter.
Il est temps d’imposer un changement de culture, de fond et de forme.
Dès l’école de police, il faut enseigner l’intransigeance éthique. Dès la première leçon, ancrer l’idée que porter l’uniforme, c’est incarner l’exemplarité, ou le quitter.
Il faut aller plus loin.
Mettons fin aux zones grises. Instaurons un système de traçabilité complet des amendes, des contrôles, des interactions. Aujourd’hui, bien des automobilistes préfèrent « arranger » plutôt que payer une contravention complète. Pourquoi ? Parce que le système permet — et parfois encourage — ces contournements. Ce n’est plus tenable. Un dispositif digitalisé, transparent, est devenu une nécessité citoyenne.
Mais la technologie seule ne suffit pas. C’est le mindset qu’il faut faire évoluer. Il faut éteindre la complaisance. Former des femmes et des hommes qui ne se contentent pas d’appliquer la loi, mais la portent, la vivent, la défendent. Une réforme de la police, ce n’est pas une réforme des manuels. C’est une réforme des consciences.
La plupart des policiers sont honnêtes, courageux, dévoués. Mais il suffit d’un traître pour salir un uniforme, et d’un laxisme pour affaiblir une institution. La hiérarchie ne peut plus se taire. Le gouvernement ne peut plus tergiverser. L’indulgence n’a plus sa place dans les affaires de corruption. Le pays attend autre chose. Le pays mérite mieux.
Car la petite corruption est un cancer lent. Elle commence par des billets sans reçu. Elle devient habitude. Puis système. Et l’État se gangrène par sa base.
Alors, disons-le clairement, aujourd’hui, aux 400 nouveaux policiers : vous êtes les remparts de la République. Votre honneur est votre meilleure arme. Si vous la trahissez, vous ne ferez pas qu’avilir votre nom : vous fissurerez le socle même de notre vivre-ensemble.
La confiance ne se quémande pas. Elle se gagne. Et elle se mérite, chaque jour, par des actes. Rs 400 ne valent rien. Mais la probité, elle, n’a pas de prix.