Geet Gawai, trésor du patrimoine immatériel : rivalité ou coexistence avec le Sangeet ?

ByRédaction

June 2, 2025

Longtemps pilier des mariages hindous à Maurice, le Geet Gawai, rituel sacré d’origine bhojpuri, est aujourd’hui éclipsé par une nouvelle vedette des festivités : le Sangeet. Fête chorégraphiée et calibrée pour les réseaux sociaux, le Sangeet s’impose avec éclat dans les salles de réception. Faut-il y voir une
rupture avec la tradition, ou peut-on envisager une cohabitation harmonieuse entre les deux ?

Une tradition vivante, mais en recul
Avant l’arrivée des projecteurs et des stories Instagram, les mariages hindous battaient au rythme du Geet Gawai, rituel transmis oralement de génération en génération. Cette cérémonie, organisée quelques jours avant le mariage, mêlait chants dévotionnels, prières, gestes symboliques et percussions improvisées. Autour du dholak, de cuillères frappées sur des récipients métalliques, les femmes du village entonnaient en chœur des vers appris de leurs mères, dans une atmosphère à la fois joyeuse et sacrée.

« Je me souviens encore de ma grand-mère, les mains jaunes de curcuma, chantant les anciens vers avec les autres femmes du village. C’était un moment sacré », confie Devika, 72 ans, geetharine à Dagotière.

Pour elle, chaque chant portait une bénédiction, chaque geste un vœu de prospérité pour les mariés.
Jusqu’aux années 1970, cette cérémonie restait strictement familiale et féminine. Ce n’est que plus tard que les Geetharines ont osé la scène, l’ouverture aux hommes, l’enseignement à l’école et sa diffusion à la
télévision. Son inscription au Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO en 2016 a marqué une reconnaissance internationale, mais n’a pas suffi à enrayer son recul dans les pratiques contemporaines.

Le Sangeet, une importation glamour

Mais dans les villas de Grand-Baie et les salles de réception de Moka, un autre son se fait entendre. Depuis une décennie, un nouveau rituel s’installe : le Sangeet. Inspiré des mariages indiens modernes, cette soirée chorégraphiée sur des tubes bollywoodiens (et parfois des hits occidentaux) est devenue l’un
des temps forts des noces mauriciennes.
« On veut quelque chose de fun, moderne, où tout le monde peut participer, même nos amis venus de l’étranger », explique Khushboo, 27 ans, dont le frère se mariera cette semaine. Pour elle, le Sangeet est un pont entre les cultures, une fête qui parle le langage universel de la musique et de la danse. Derrière
ce virage se cache une influence majeure : Bollywood. Les comédies romantiques à succès ont popularisé l’image du Sangeet comme moment-clé de tout mariage indien digne de ce nom. Ajoutez à cela l’effet des réseaux sociaux, la pression du « beau », du « spectaculaire », et vous obtenez un phénomène générationnel.
La montée en puissance du Sangeet reflète aussi l’impact des réseaux sociaux, où le « beau » et le « spectaculaire » dominent. Il devient un outil de célébration collective, mais aussi un produit visuel, pensé pour être partagé.

Une rupture ou une évolution ?
Cette transformation ne fait pas l’unanimité. Pour certaines voix traditionnalistes, le Sangeet est perçu comme un show, coupé de toute mémoire rituelle.

« Le Sangeet, c’est du spectacle. Le Geet Gawai, c’est une âme », tranche Bharati, geetharine de 68 ans.
« Les jeunes ne savent plus chanter les vraies paroles, ne comprennent plus leur signification. Ils veulent danser, mais ils oublient d’où l’on vient. »

À l’inverse, d’autres défendent l’idée d’une modernisation nécessaire.

« Il faut vivre avec son temps. Si on veut que nos fêtes parlent aux jeunes, il faut les adapter. Le Geet Gawai est beau, mais il faut savoir le renouveler », estime Vikash, 32 ans, organisateur de mariages.

Vers une cohabitation possible ?
Plutôt que de choisir entre tradition et modernité, certaines familles tentent un compromis : un Geet Gawai en petit comité, avec les aînés, suivi d’un Sangeet festif, ouvert aux amis, jeunes et collègues. Un double rituel où chaque génération trouve sa place.

À Maurice, terre de métissages, le véritable défi n’est pas de choisir entre les deux, mais d’harmoniser les pratiques. Il s’agit de redonner au Geet Gawai ses lettres de noblesse, tout en acceptant que le Sangeet ait conquis le cœur d’une nouvelle génération.
Le Dr Sarita Boodhoo, figure incontournable de la préservation du patrimoine bhojpuri, ne s’inquiète guère de cette évolution : « Le Sangeet a sa place, bien sûr. Il n’y a pas de menace. Les deux peuvent
coexister magnifiquement. Il y a de la place pour tout », affirme-t-elle. « Le Geet Gawai est porté par des chanteuses traditionnelles expérimentées, qui perpétuent une pratique liée aux coutumes nuptiales depuis l’époque védique. Le Sangeet est magnifique à sa manière. Mais, le Geet Gawai, c’est la
tradition », ajoute-t-elle avec fierté.

Transmettre sans trahir
Heureusement, plusieurs initiatives émergent pour ancrer le Geet Gawai dans le présent, tels les ateliers de chant bhojpuri, capsules audiovisuelles, concours animés par la MBC, formations à l’école de Geet Gawai de la Bhojpuri Speaking Union, et même son introduction dans les programmes scolaires.
Certains artistes vont plus loin, en fusionnant les sonorités du Geet Gawai avec des beats électroniques, afin de conquérir un public jeune, sans renier l’âme de la tradition.

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