Prête-noms : Jusqu’où peut-on aller pour se cacher ?

ByRédaction

July 17, 2025

Derrière certaines vitrines chics et enseignes respectables, une autre réalité, beaucoup plus trouble, s’esquisse. Celle des prête-noms. À Maurice, cette pratique prend une ampleur inquiétante. Et l’affaire qui secoue la Financial Crimes Commission (FCC) cette semaine en est la parfaite illustration. Au centre : Anishta Rughoo, l’ex-épouse de l’homme d’affaires controversé Rakesh Gooljaury. Elle serait, selon les enquêteurs, l’un des maillons d’un vaste système de sociétés-écrans servant à dissimuler un véritable empire financier.

Un rôle de façade, mais des conséquences bien réelles

Qu’est-ce qu’un prête-nom ? C’est une personne qui accepte de figurer officiellement sur les papiers – en tant que propriétaire, directrice, ou actionnaire – d’une société qu’elle ne contrôle pas réellement. Derrière elle, se cache le véritable décisionnaire. Une stratégie souvent utilisée pour contourner la loi, camoufler l’origine des fonds, ou éviter des sanctions judiciaires. Pour un avocat spécialisé en criminalité financière, cela ne fait aucun doute :

« Un prête-nom n’est pas un simple figurant. Dès qu’il sait qu’il agit pour dissimuler quelqu’un d’autre, il devient complice actif. »

 Diamoda Foods, Swarovski, Pandora… les marques comme paravent ?

Tout a commencé avec une descente musclée de la FCC dans les locaux de Diamoda Foods Ltd, société exploitant la franchise Paul à Maurice. À la barre de cette entreprise ? Anishta Rughoo. Elle assure que cette société lui a été attribuée lors de son divorce avec Gooljaury. Mais les enquêteurs n’y croient pas. Pour eux, elle ne serait qu’un nom sur le papier, utilisé pour masquer les activités et les avoirs de son ex-époux.

Ce qui intrigue davantage, c’est que Diamoda Foods n’est pas une exception. D’autres sociétés comme Goldmond Ltd (franchise Swarovski), Mafis Trading Ltd (franchise Pandora), ou Universal Fusion Foods seraient, elles aussi, liées au même réseau. Leur point commun ? Des transferts d’actions suspects, et des prêts bancaires totalisant Rs 1,5 milliard, accordés par l’ex-MPCB. Des fonds aujourd’hui considérés comme « toxiques ».

 Prêter son nom, c’est risqué

La loi est très claire. Si la FCC parvient à prouver qu’Anishta Rughoo a sciemment couvert les opérations de Gooljaury, elle encourt de lourdes sanctions :

  • Blanchiment d’argent (FIAMLA) : jusqu’à 10 ans de prison et Rs 10 millions d’amende ;
  • Dissimulation de bénéficiaire effectif : radiation du registre des directeurs et sanctions financières ;
  • Fraude financière ou bancaire : selon la nature des transactions ;
  • Entrave à une enquête : en cas de fausse déclaration ou destruction de preuves.

Il ne suffit pas de dire “je ne savais pas”. La complicité peut être retenue si la personne n’a pas exercé la diligence requise.

 Un jeu bien rôdé dans les hautes sphères

Le cas d’Anishta Rughoo n’est pas unique. Les scandales financiers révèlent régulièrement des noms de proches, d’employés ou de membres de la famille utilisés pour diriger des sociétés écrans. Ces prête-noms sont souvent choisis pour leur discrétion, leur vulnérabilité ou leur lien personnel avec les véritables bénéficiaires.

Cette technique permet aussi de contourner les sanctions, d’éviter la traçabilité fiscale, ou de continuer à exercer une influence économique tout en restant officiellement en retrait. Et lorsque les autorités commencent à enquêter, il est souvent trop tard : les fonds ont été transférés, les actifs déplacés, les sociétés dissoutes.

 Vers des contrôles renforcés ?

Consciente de ces failles, la FCC pousse pour un renforcement du cadre légal. Parmi les pistes envisagées :

  • La création d’un registre central des bénéficiaires effectifs, accessible aux autorités ;
  • Des sanctions pénales plus lourdes à l’encontre des prête-noms volontaires ;
  • Une coopération accrue avec les régulateurs internationaux, afin de remonter les flux financiers à travers les juridictions offshore.

Ces mesures pourraient redonner du poids à la transparence dans un système encore trop perméable à la manipulation. L’affaire Rughoo-Gooljaury pose une question essentielle : peut-on encore, en 2025, dissimuler plusieurs milliards en se cachant derrière quelques visages connus ? Et surtout : combien d’autres prête-noms continuent d’agir en toute impunité dans les sphères économiques et politiques du pays ?Une chose est sûre : la FCC ne compte pas relâcher la pression. Et cette fois, elle pourrait bien faire tomber les marionnettistes… autant que les marionnettes.

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