Ce qui n’était qu’un scandale financier est en train de se transformer en un véritable effondrement silencieux au sommet de la police mauricienne. Alors que l’Assistant Commissaire de Police (ACP) Lilram Deal, incarcéré depuis trois semaines pour détournement présumé de fonds dans le cadre du système Reward Money, s’apprête à retrouver la liberté ce jeudi 17 juillet, ses révélations viennent bouleverser l’équilibre fragile des forces de l’ordre.
Car Deal a commencé à parler. Et ce qu’il livre depuis quelques jours est d’une puissance rare. Dans ses dernières dépositions devant les enquêteurs de la Financial Crimes Commission (FCC), l’ACP a formellement cité deux hauts gradés : le Deputy Commissioner of Police (DCP) Bhojoo et le Chief Inspector (CI) Mohess. Deux figures connues, ayant travaillé à ses côtés au sein de l’ ADSU, notamment dans plusieurs saisies retentissantes, dont l’affaire Gurroby.
« Bhojoo ine call mwa. Li dir mwa li pe avoy Mohess pou pran sa kass la », a-t-il lancé sans trembler aux enquêteurs.Cette déclaration, si elle est corroborée, pourrait faire basculer l’enquête dans une toute autre dimension. Mohess, interrogé, nie en bloc, mais admet tout de même avoir sollicité un emploi pour sa fille auprès de Deal. Un détail qui, dans ce contexte, pèse lourd. D’ailleurs la Commission d’enquête sur la drogue, présidée par le juge Lam Shang Leen, avait déjà sévèrement épinglé les deux officiers, Mohess et Bhojoo, dans son rapport final, pointant du doigt leurs agissements douteux et leur proximité troublante avec certaines opérations sensibles.
Une machine bien huilée… jusqu’à l’explosion
Conçu pour récompenser les informateurs qui permettent de résoudre des affaires sensibles, le système du Reward Money semble avoir été transformé, selon la FCC, en véritable machine à cash parallèle. Deal est accusé d’avoir détourné Rs 4,58 millions, mais certains analystes évoquent une fraude systémique, estimée entre Rs 30 et 200 millions. Le tout réparti sur plusieurs années, via des transactions internes opaques et des primes attribuées sans justification.
Et Deal n’est que la partie émergée. De nombreux dossiers sensibles sont désormais réexaminés à la loupe, notamment ceux où Bhojoo et Mohess avaient un rôle opérationnel central. Des saisies de drogue, des perquisitions médiatisées, des opérations “coup de poing” : tout est désormais scruté pour déceler les failles… ou les manipulations.
Un ancien inspecteur de l’ADSU, aujourd’hui retraité, ne cache pas sa colère :
« Ce système ti fini pourri. Ena dimoun ti p gagn kass pou info ki pa ti existe. Zot ti p servi Reward Money pou casse fence. Aster, zot p manz zot camarade. »
Dip convoqué, l’étau se resserre
Dans la foulée, la FCC a convoqué l’ancien Commissaire de Police Dip, dont l’audition est prévue cette semaine. Objectif : déterminer le degré d’implication ou de laxisme de la hiérarchie dans cette affaire. Les enquêteurs s’intéressent particulièrement aux virements autorisés, modifications de fichiers, et à l’existence potentielle de faux informateurs créés pour détourner des fonds.
Cette affaire résonne étrangement avec les conclusions sévères de la Commission d’enquête sur la drogue, présidée par le juge Lam Shang Leen, qui avait déjà pointé du doigt des dysfonctionnements graves, des enrichissements suspects et des complicités internes.
« Ce que nous voyons aujourd’hui, la Commission Lam Shang Leen l’avait prédit. Mais personne n’a voulu écouter », confie un ancien membre du service d’enquête.
Masques tombés, réseau en déroute
La libération conditionnelle de Lilram Deal ne sera pas synonyme d’oubli. Elle s’accompagne de conditions strictes : interdiction de quitter le territoire, de contacter d’autres personnes citées dans le dossier, et obligation de collaborer activement avec la FCC. Et Deal, visiblement, a décidé de tout dire.
Chaque nouvelle déposition élargit les contours d’un système parallèle, tentaculaire, ancré dans les rouages mêmes de la police. L’affaire Reward Money n’est plus un simple détournement, mais bien une autopsie d’un pouvoir corrompu, d’une mécanique savamment huilée qui a fonctionné des années à l’abri des regards. Ce que la FCC est en train de découvrir pourrait bien rebattre toutes les cartes du commandement policier mauricien.
Update: Lilram Deal admis en urgence dans une clinique privée
Aux dernières nouvelles, nous avons appris que Lilram Deal a été admis en urgence dans une clinique privée des hautes Plaines Wilhems. Son état de santé a été jugé préoccupant par l’équipe médicale.