Perquisition à domicile : jusqu’où vont les pouvoirs de la police ?

ByRédaction

June 26, 2025

Depuis quelque temps, les méthodes employées par l’ex-Special Striking Team (SST) lors de perquisitions suscitent une vive controverse. De l’affaire Akil Bissessur , Sherry Singh, à d’autres cas moins médiatisés, les interventions spectaculaires soulèvent des interrogations fondamentales : dans quelles conditions un mandat de perquisition est-il légalement émis ? Peut-on refuser une fouille à domicile ? Et quand un mandat devient-il invalide aux yeux de la loi ? Alors que les descentes policières, les saisies et les fouilles de domicile deviennent fréquentes, Me Yatin Varma, ancien Attorney General et homme de loi chevronné, fait le point sur les droits des citoyens face aux pouvoirs d’intervention des forces de l’ordre.

« La Constitution mauricienne est claire : personne ne peut être soumis à une fouille corporelle ou domiciliaire sans son consentement », explique Me Yatin Varma, citant la section 9(1). Mais ce droit, insiste-t-il, n’est pas absolu. La section 9(2) introduit plusieurs exceptions : sécurité nationale, ordre public, santé publique ou encore moralité.
Autrement dit, dans certains cas bien définis par la loi, la police peut légalement procéder à une perquisition sans votre consentement. « Ce n’est pas un passe-droit. Toute intervention doit être encadrée par un texte de loi et motivée par l’intérêt général », rappelle Me Varma.

Ce qu’ont dit les juges
Les tribunaux mauriciens ont consolidé cette interprétation. Dans l’affaire RAMGOOLAM v COMMISSIONER OF POLICE [2015 SCJ 84], la Cour a jugé que la protection constitutionnelle de la vie privée peut être levée par une loi, dans l’intérêt public ou de l’ordre public. Autre jurisprudence : VEERAPEN K.D. v THE STATE [2015 SCJ 439], où il est clairement établi que « nul ne peut être soumis à une fouille de son domicile sans consentement, sauf disposition contraire prévue par la loi ».


Le mandat de perquisition : cadre légal strict
En principe, la police doit obtenir un mandat de perquisition émis par un magistrat, conformément à la section 30 du District and Intermediate Courts (Criminal Jurisdiction) Act

Pour cela, il faut :
 Une raison valable de soupçonner la présence d’objets liés à un crime (ex. biens volés, drogues, armes).
 Une demande formelle contenant le lieu à fouiller et les objets recherchés.

Le mandat doit être exécuté de jour, sauf cas d’urgence justifiée.

    L’exception : mandat policier en urgence
    En cas d’urgence, la loi permet à un officier de police — au minimum du rang d’Assistant Superintendent — de délivrer un mandat. C’est prévu par la section 14(1)(a) de la Police Act 1974.Cette procédure s’applique lorsqu’il y a urgence et que le temps nécessaire pour obtenir un mandat judiciaire risquerait de compromettre l’enquête.

    Conditions :
     La décision doit s’appuyer sur une déclaration sous serment.
     Elle ne concerne que certaines infractions : drogue, possession illégale d’objets volés, armes, etc.
     Le policier doit justifier sa décision, transmettre le mandat au Commissaire de police et informer rapidement le tribunal compétent.


    Ce que contient un mandat valable
    Selon Me Varma, un mandat valide doit mentionner :
     Le lieu précis à fouiller (adresse, bâtiment, chambre…),
     La nature exacte des objets recherchés (ex. armes, portables, documents).
    Tout mandat imprécis peut être contesté en cour.


    Que faire si la police frappe à votre porte ?
    Si les policiers se présentent chez vous :
     Vous pouvez demander à voir le mandat.
     Ils doivent vous expliquer la nature de la perquisition, vous lire les éléments du mandat et vous donner l’occasion d’ouvrir volontairement.
     S’ils n’ont ni mandat ni consentement, l’entrée est illégale, sauf dans les cas prévus par la loi.


    La force peut-elle être utilisée ?
    Oui, mais sous conditions strictes. La section 34 de la loi de 1852 prévoit que si l’accès est refusé, les policiers peuvent forcer l’entrée, à condition :

    1. D’avoir un mandat valide.
    2. De vous avoir informé de leur fonction et de leur but.
    3. De vous avoir officiellement demandé l’accès.
      S’ils remplissent ces conditions, l’usage de la force devient légal.
      Et si vous êtes présent lors de la perquisition ?
      Selon la section 32, le mandat peut autoriser l’arrestation de l’occupant du domicile si des objets incriminants sont découverts.

    Mais Me Yatin Varma insiste : « La simple présence dans les lieux n’est pas suffisante pour justifier une arrestation. Il faut établir un lien clair entre la personne et les objets saisis. »

    Téléphones, ordinateurs, données privées
    Un autre point souvent négligé : les données numériques.
     Les policiers ne peuvent pas accéder à votre téléphone ou ordinateur sans votre consentement, sauf si une ordonnance judiciaire le permet.
    Me Varma est formel : « Le droit à la vie privée s’applique aussi aux données numériques. Un téléphone ne peut être fouillé simplement parce qu’il est dans la pièce. »

    Vos droits
    En tant que citoyen, vous avez le droit de :
     Demander à voir un mandat.
     Refuser l’entrée sans mandat ou sans consentement (hors cas d’urgence).
     Contester la perquisition en justice si elle vous semble illégale.
    La police, elle, a le droit de :
     Entrer avec un mandat clair et légal.
     Utiliser la force si l’accès est refusé.
     Perquisitionner de jour (sauf urgence).
     Saisir uniquement les objets mentionnés dans le mandat.

    Me Yatin Varma
    « Il est essentiel que chaque citoyen mauricien connaisse ses droits, mais aussi comprenne les pouvoirs de la police. Une société démocratique repose sur un équilibre entre liberté individuelle et autorité légale. Les perquisitions ne doivent pas être vécues comme des abus, mais comme des outils d’enquête – à condition qu’elles respectent scrupuleusement la loi. »

    “ Le mandat est le seul document qui permet à la police de franchir le seuil de votre porte sans votre accord. En l’absence d’urgence légale, toute autre tentative d’intrusion est illégale.”