Rajen Narsinghen : « Il fallait du courage politique, pas des slogans populistes »

ByRédaction

June 30, 2025

Rajen Narsinghen, militant de longue date et aujourd’hui Junior Minister au ministère des Affaires étrangères, de l’Intégration régionale et du Commerce international, prend la parole sans détour. Dans cet entretien accordé au Journal du Dimanche, il revient sur la position de Maurice face au conflit au Moyen-Orient, la réforme controversée de l’âge de la pension, les tensions sociales, mais aussi l’importance symbolique des terres rendues à la communauté tamoule. Avec un discours tranché, il défend les décisions du gouvernement et s’affiche solidaire de l’Alliance du Changement.

Q : Le conflit au Moyen-Orient s’intensifie. Quelle est la posture de Maurice ? Peut-on rester neutres ?

R.N. : Maurice a toujours défendu la paix. Le Premier ministre, Dr Navin Ramgoolam, a été clair : nous ne pouvons encourager ni la violence, ni la haine. Notre ligne, c’est la diplomatie. Nous appelons à un dialogue entre toutes les parties. Maurice soutient les droits du peuple palestinien, mais cela ne signifie pas ignorer l’existence de l’État d’Israël. Nous voulons une paix durable fondée sur la coexistence.

Q : Des Mauriciens vivant dans des zones sensibles ont-ils sollicité nos ambassades ?

Oui, dès les premières tensions, nous avons agi. Avec le ministre Ritesh Ramphul, nous avons activé un dispositif diplomatique : nos ambassades à Riyad, Dubaï, Pretoria, Islamabad, entre autres, ont mis à disposition des hotlines et adresses e-mails. Nous avons aussi sollicité le soutien logistique de pays amis en cas de besoin de rapatriement.

Q : Diego Garcia est-elle menacée en cas d’escalade ?

Potentiellement, mais soyons réalistes : l’Iran ne dispose pas à ce jour de missiles interbalistiques capables d’atteindre Diego Garcia. Maurice n’est ni impliquée dans ce conflit, ni considérée comme État belligérant. Nous gardons notre neutralité dans le respect du droit international.

Réforme de la pension : « Ce n’est pas un choix politique, c’est une nécessité »

Q : Le passage de l’âge de la pension de 60 à 65 ans a provoqué une onde de choc. Était-ce inévitable ?

Oui. Ce que nous avons fait, c’est ce que d’autres n’ont pas osé faire. Depuis plus de vingt ans, des rapports ont tiré la sonnette d’alarme sur la viabilité du système. L’ancien régime a préféré flatter l’opinion et se retrancher dans le populisme.

Q : N’aurait-il pas fallu mieux expliquer cette réforme aux Mauriciens ?

C’est vrai, il y a eu un manque de communication initiale. Mais il y avait urgence. Les actuaires consultés nous ont dit clairement : le système avait explosé. Alors oui, c’est un virage dur, mais absolument vital. Et nous avons fait des choix équilibrés : un impôt progressif, une contribution des entreprises qui font de gros profits, une redistribution plus juste. À titre personnel, j’estime qu’on aurait pu aller encore plus loin. Mais cela aurait pu effrayer les investisseurs.

Q : C’est une décision brutale. Certains y voient une forme de trahison…

Je comprends que ce soit mal reçu. Mais ce n’est pas une trahison. C’est du courage politique. Nous avons hérité d’un pays avec Rs 640 milliards de dettes, une roupie dévaluée de 50 %, une balance commerciale et budgétaire en déficit chronique. Et que dire des institutions stratégiques pillées ou mal gérées : Air Mauritius, SBM, MIC, CEB, CWA, STC… La Banque de Maurice elle-même a été malmenée. Il fallait agir, pas reculer.

Des ajustements prévus pour les plus vulnérables

Q : Et pour ceux qui exercent des métiers pénibles ? Seront-ils traités différemment ?

Absolument. Le gouvernement prépare des ajustements. Il ne s’agit pas d’imposer une règle uniforme. Maçons, ouvriers agricoles, femmes au foyer, personnes atteintes de maladies chroniques : nous allons tenir compte de ces réalités. Un comité d’experts, incluant des actuaires, est en cours de mise en place pour une réforme complète de la pension universelle.

Q : Le sacrifice demandé aux citoyens est lourd. Que leur dites-vous ?

Je leur dis que c’est temporaire. Que ce gouvernement ne les abandonne pas. Et surtout que nous demandons aussi des efforts aux plus aisés. Une fiscalité plus juste est en place. Le gouvernement s’engage également à faire le ménage dans ses propres dépenses. Les recommandations du bureau de l’audit seront suivies. C’est une transition, pas un abandon.

« Je suis resté un militant dans l’âme »

Q : Vous avez été arrêté lors d’un rassemblement. Êtes-vous toujours ce militant de terrain ?

Oui. Je reste un militant. Je suis aussi un activiste des droits humains. Mais je suis aujourd’hui dans l’exécutif, et j’en accepte les règles. J’adhère au principe de responsabilité collective issu du modèle Westminster. Cela signifie que les critiques se font à l’intérieur. Et croyez-moi, je dis les choses — sans détour — en réunion. Il faut avoir le courage de dire les quatre vérités, même au pouvoir.

Q : Le gouvernement commence à faire face à des protestations. Vous sentez-vous à l’aise ?

Parfaitement. Les protestations sont normales dans une démocratie. Tant qu’elles restent pacifiques et respectueuses des lois. Ce gouvernement agit. En sept mois, nous avons renforcé les pouvoirs du DPP, posé les bases d’une gouvernance plus saine. La route est longue, mais la direction est bonne.

Q : Comment se passe la cohabitation avec Résistance et Alternativ ?

Il y a une véritable synergie entre les quatre composantes de l’Alliance du Changement. Chacun apporte ses convictions. Le dialogue est constant entre Navin Ramgoolam, Paul Bérenger, Richard Duval et Ashok Subron. Et au bout, c’est l’intérêt du pays qui prime. C’est un compromis au service de la nation.

Réparations foncières : « Rendre la terre, c’est rendre justice »

Q : La terre rendue à la communauté tamoule. Symbolique fort ou geste politique ?

C’est une réparation, pas un calcul. Ces terrains avaient été accordés sous Paul Bérenger, puis étendus sous Navin Ramgoolam. Malheureusement, ils ont été confisqués par les “blue-eyed boys” du régime précédent. Il fallait rendre à César ce qui appartient à César. C’est un acte de justice.

Q : D’autres communautés peuvent-elles aussi revendiquer leurs droits ?

Bien sûr. Deux organisations ont mené la bataille pour ces terres. D’autres sont libres de faire leurs demandes. Le gouvernement est ouvert. Il ne s’agit pas de favoriser une communauté, mais de corriger des injustices. Que chacun ait accès à ses droits. C’est cela, l’équité républicaine.

 « On ne gère pas un pays avec des slogans »

R.N. : Ce que nous avons hérité est grave. Une économie abîmée, des institutions vidées, une gouvernance dégradée. Mais nous avons l’opportunité de reconstruire sur du solide. Ce que nous faisons aujourd’hui, ce ne sont pas des mesures populaires. Ce sont des décisions responsables. Le Premier ministre et le Deputy Prime Minister sont des hommes d’État. Ils pensent aux générations futures, pas aux sondages. Et je suis convaincu : dans un ou deux ans, les Mauriciens verront les résultats. Le pays ira mieux. Et ils sauront que nous avons choisi la voie de l’avenir.