ENTRETIEN: Camille Vital « Nos compatriotes doivent être protégés, pas exploités » 

ByRédaction

July 14, 2025

À l’occasion des 65 ans d’indépendance de Madagascar, l’ambassadeur Albert Camille Vital se livre dans un entretien sans détour. Présent à Maurice depuis 2021, il porte un regard lucide sur le rôle de la diaspora, les défis quotidiens des travailleurs malgaches, les relations bilatérales et les ambitions communes à l’horizon 2030. Entre fermeté diplomatique et message d’unité, il appelle à une coopération renforcée et à une meilleure protection des plus vulnérables.

Monsieur l’Ambassadeur, Madagascar fête cette année ses 65 ans d’indépendance. Pour vous, cette date, c’est plus qu’un simple anniversaire ?
Absolument. Ce 26 juin ne marque pas seulement une rupture historique avec le passé colonial. Il est un point de ralliement, un rappel solennel du combat de nos aïeux, et un miroir tendu vers l’avenir. À 65 ans, notre nation est mature, mais elle doit rester vigilante : l’indépendance politique n’a de sens que si elle s’accompagne de justice sociale, de prospérité partagée et de dignité retrouvée.

Quel est le rôle que joue la diplomatie malgache dans cette construction de l’avenir ?
La diplomatie est notre bras articulé sur la scène internationale. Ici, à Maurice, mon rôle est double : défendre les intérêts de Madagascar, mais aussi porter haut les aspirations de nos compatriotes expatriés. Notre présence diplomatique à Maurice est stratégique. Nous ne sommes pas seulement voisins ; nous sommes liés par l’histoire, par la culture, et aujourd’hui plus que jamais, par des défis communs.

Parlons justement de cette relation bilatérale. Maurice et Madagascar, comment ça va ?
Très bien. Les relations sont solides, fondées sur une confiance mutuelle et une coopération concrète. Je dirais même que nos deux pays ont un potentiel inexploité. L’agriculture, la pêche, le tourisme, les services… autant de secteurs où nos complémentarités peuvent devenir des leviers économiques puissants. Des projets existent déjà, et d’autres sont en gestation, notamment autour de la transformation des produits agricoles et la gestion durable des ressources marines.

« L’Ambassade ne couvrira jamais des situations illégales, mais elle protégera toujours la dignité humaine. »

Un mot sur la diaspora malgache à Maurice ?
Un mot ? Je vous en donne trois : active, résiliente, précieuse. Elle représente aujourd’hui environ 7 000 personnes. Elle est notre mémoire vivante, notre force douce, notre relais quotidien. Les Malgaches à Maurice participent au tissu économique, social, culturel. Ils travaillent, entreprennent, s’adaptent. Ils sont dans l’hôtellerie, la construction, le textile, les transports… Certains brillent dans les TIC ou les services financiers. Ce sont eux, les vrais bâtisseurs du lien Madagascar-Maurice.

Mais tout n’est pas rose. Quelles difficultés rencontrent vos compatriotes ici ?
souvent des travailleurs arrivent avec la promesse d’un poste, d’un salaire, d’un contrat clair. Et à l’arrivée, tout change. Salaire amputé, horaires non respectés, logements précaires, pressions. On leur impose des pénalités injustifiées, on retient leur passeport, on les menace s’ils parlent. Le salaire minimum est souvent respecté sur le papier, mais rogné dans la réalité.

Que fait l’Ambassade face à ces abus ?
Nous ne restons pas spectateurs. Une cellule d’écoute est en place. Les plaintes remontées sont documentées et transmises aux autorités mauriciennes, notamment au ministère du Travail. Nous suivons chaque dossier. Mais je vous le dis : tant que le travailleur reste silencieux, les abus prospèrent. C’est pourquoi nous insistons pour que les Malgaches en difficulté se tournent vers nous ou vers les instances officielles. Pas vers des “intermédiaires” sans mandat.

« La diaspora est notre force silencieuse. Elle mérite le respect, pas l’exploitation »

Y a-t-il un message clair que vous adressez à la communauté malgache ici ?
Oui, un message sans détour : respectez les lois du pays d’accueil, mais exigez qu’on respecte vos droits. Ne laissez jamais votre visa expirer, même pour une journée. Ayez toujours sur vous ou en lieu sûr votre passeport, une copie du contrat, votre permis de travail, et les preuves de paiement de votre salaire. Et surtout : en cas de doute, contactez l’Ambassade. Pas les réseaux informels.

La régularisation de certains travailleurs en situation irrégulière est-elle possible ?
Nous sommes dans un dialogue permanent avec les autorités mauriciennes. Chaque situation est unique. Il y a des possibilités de régularisation, mais elles nécessitent de la transparence, de la coopération et de la volonté. Nous avons également contribué à des retours volontaires dans la dignité. L’objectif n’est pas de punir, mais de protéger, d’apaiser et de reconstruire.

Des actions de sensibilisation sont-elles menées en amont, à Madagascar ?
Oui. En 2024, nous avons renforcé le contrôle des contrats avant départ. Toute personne partant pour Maurice doit être en possession d’un contrat de travail vérifié, validé, signé, et d’un permis en règle. Nous travaillons aussi à alerter contre les filières illégales et les fausses promesses. L’information sauve des vies, évite les désillusions et les exploitations.

« Maurice et Madagascar doivent passer d’une relation de voisinage à un véritable pacte stratégique”

Quels sont les partenaires avec qui vous travaillez pour protéger ces travailleurs ?
Nous collaborons avec l’Inspection du Travail mauricienne. Nous sommes également ouverts à des partenariats avec des ONG locales. L’objectif est simple : créer une chaîne de protection. Car un travailleur vulnérable ne peut pas se défendre seul. Il faut un écosystème humain, administratif, juridique, qui fonctionne.

Au-delà des urgences sociales, quels sont les horizons 2030 que vous tracez pour la coopération Maurice-Madagascar ?
Je vois une coopération rénovée, ambitieuse et mutuellement bénéfique. Pas seulement dans les échanges commerciaux, mais aussi dans l’éducation, la formation professionnelle, la transition écologique, et l’innovation numérique. Je crois à l’émergence d’un axe régional fort entre nos deux îles, au sein de l’océan Indien.

Un mot enfin, solennel, à l’occasion de ce 65e anniversaire ?
À mes compatriotes de la diaspora, je dis ceci : vous êtes les gardiens du drapeau, même loin de la terre natale. Par votre travail, votre exemplarité, vous honorez Madagascar. Arahaba tratry ny asaramanitra e !
À nos partenaires mauriciens, je réitère la confiance de mon gouvernement dans votre engagement à protéger les droits des travailleurs. Ensemble, continuons à bâtir un pont solide entre nos peuples. Le respect mutuel n’est pas une option, c’est une fondation.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *