Litiges fiscaux: un système à rééquilibrer pour mieux servir tous les contribuables

ByRédaction

July 7, 2025

Le système de gestion des litiges fiscaux à Maurice est souvent perçu comme complexe, coûteux et déséquilibré. Si certains acteurs économiques puissants parviennent à tirer leur épingle du jeu, de nombreuses petites et moyennes entreprises (PME) témoignent de leurs difficultés face à l’administration fiscale. Il ne s’agit pas de pointer du doigt, mais d’ouvrir un débat utile sur la nécessité de réformes pour plus d’équité, de transparence et d’efficacité.

Des évaluations fiscales parfois contestées

Tout commence généralement par une évaluation émise par la Mauritius Revenue Authority (MRA), à la suite d’un audit ou d’une vérification. Certaines entreprises estiment que ces évaluations sont parfois basées sur des interprétations rigides ou sur des erreurs d’appréciation.

Par exemple, une entreprise textile aurait reçu une demande de régularisation de Rs 3,5 millions à la suite d’une erreur de classement de factures. Une autre dans le secteur de l’import-export s’est retrouvée face à une évaluation de Rs 8 millions liée à une divergence d’interprétation sur les prix de transfert. Même si la MRA a la responsabilité de faire respecter les règles fiscales, ces exemples soulignent le besoin d’un dialogue plus clair entre l’administration et les entreprises, notamment les plus petites, souvent démunies sur le plan technique.

 Une contestation coûteuse pour les PME

Aujourd’hui, si une entreprise souhaite contester une évaluation, elle doit déposer une objection officielle dans un délai de 28 jours. Cela implique souvent des coûts importants, notamment parce qu’il faut payer entre 30 % et 50 % du montant contesté pour que l’objection soit recevable. Cette condition est considérée par certains comme une barrière à l’accès à la justice fiscale, en particulier pour les PME qui n’ont pas les mêmes moyens que les grandes entreprises. À cela s’ajoutent les frais d’experts ou de fiscalistes, estimés entre Rs 50 000 et Rs 200 000, nécessaires pour préparer correctement les dossiers.

 Des délais longs et un manque de clarté

Une fois l’objection soumise, les entreprises attendent souvent plusieurs mois — parfois plus d’un an — avant d’avoir une réponse. Ce délai crée de l’incertitude. Par ailleurs, dans la majorité des cas, l’objection est rejetée par un agent interne de la MRA, ce qui donne l’impression d’un système où l’arbitre est aussi juge et partie. Il serait peut-être utile de renforcer les mécanismes d’indépendance à ce stade, pour rassurer les contribuables sur l’équité du processus.

 L’ARC : un recours sous conditions strictes

En cas de rejet, l’entreprise peut saisir l’Assessment Review Committee (ARC). Cette instance, en principe indépendante, impose cependant des conditions supplémentaires : paiement additionnel de 20 % à 30 % du montant contesté et représentation obligatoire par avocat. Les frais peuvent donc rapidement atteindre Rs 150 000 à Rs 300 000. Pour les grandes entreprises, cela fait partie du jeu. Pour les petites, c’est souvent un frein. Pourtant, sur les 127 cas entendus en 2023, seuls 12 ont été favorables aux contribuables — ce qui nourrit la méfiance.

 La Cour suprême : une option mais rarement utilisée

La Cour suprême reste le dernier recours. Mais avec des frais juridiques élevés (jusqu’à Rs 2 millions), une durée de traitement souvent longue (3 à 5 ans) et des procédures complexes, peu d’entreprises osent s’y aventurer. Les grandes sociétés disposent de moyens suffisants pour mobiliser les meilleurs avocats et experts, ce qui leur permet parfois de faire valoir leurs arguments avec succès. Les PME, elles, n’ont pas toujours ces ressources. Ce déséquilibre contribue au sentiment d’un « deux poids, deux mesures ».

  Les risques à long terme : découragement et informalité

Le climat fiscal actuel, jugé parfois hostile par les entrepreneurs, peut avoir plusieurs conséquences :

  • Démotivation des jeunes entrepreneurs à formaliser leur activité.
  • Risque de fuite vers l’économie informelle pour éviter des litiges coûteux.
  • Méfiance des investisseurs, surtout étrangers, qui attendent une transparence juridique stable.
  • Tensions sociales, si le système est perçu comme favorisant certains au détriment d’autres.

 Des réformes possibles et constructives

Le but n’est pas d’affaiblir la MRA, mais de renforcer la confiance entre l’administration et les contribuables. Voici quelques pistes de réforme, inspirées de bonnes pratiques internationales :

  • Supprimer le paiement préalable pour les PME dans les cas litigieux inférieurs à un certain seuil (par exemple Rs 5 millions).
  • Créer un service public de conseil et de défense fiscale, gratuit pour les PME, avec des fiscalistes indépendants.
  • Mettre en place un mécanisme de médiation rapide et neutre, avec des décisions rendues en 60 jours maximum.
  • Réformer l’ARC en assurant une réelle indépendance de ses membres.
  • Encadrer le travail des inspecteurs sur des critères de qualité, et non uniquement de recouvrement.
  • Prévoir une compensation automatique en cas d’évaluation annulée, pour éviter les excès.

Pour une fiscalité équilibrée et juste

La fiscalité est un pilier essentiel de toute économie. Mais elle doit être juste, prévisible et accessible. Aujourd’hui, de nombreuses PME à Maurice se sentent désavantagées face à un système perçu comme trop lourd, trop cher, et trop favorable aux grandes entreprises.

Réformer le système fiscal ne signifie pas punir la MRA, mais lui redonner un rôle plus équilibré. Une relation apaisée et équitable entre l’administration et les entreprises est la clé pour relancer la confiance, soutenir l’investissement et créer une croissance saine. C’est dans l’intérêt de tous. Et c’est possible.

Par Dharmaraj Ippili Appiah
(BSc Hons, CFE, FPFA, FCCA, GDLaw, LL.M Corporate Law, MSc Trust & Fund Administration, Ph.D Fiscal Policy)

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