Il n’en dort plus. Depuis qu’il est tombé dans le piège d’un maître chanteur en ligne, un douanier de 40 ans, affecté à la Mauritius Revenue Authority (MRA), vit dans la peur, la honte… et le silence. Ce n’est que le vendredi 4 juillet qu’il a enfin trouvé le courage de se rendre au poste de police en compagnie de son avocat pour porter plainte pour extorsion. Un soulagement après des semaines de pression psychologique et de menaces persistantes.
Tout commence le 18 juin dernier, lorsqu’il reçoit un message via Facebook Messenger, en apparence anodin. L’expéditeur est un jeune homme de 22 ans, domicilié à Bonne Mère. Le douanier clique sur un lien qui le redirige vers un groupe Telegram où sont diffusées plusieurs vidéos à caractère sexuel, mettant en scène ce qui semble être des mineures. Le piège est tendu.
« To aste foto tifi miner twa, to kontan tifi miner. Atan to fami pou kone tou sa. »
Dès le lendemain, il reçoit une capture d’écran de sa propre photo, extraite de son profil Facebook, accompagnée de ce message glaçant : « To aste foto tifi miner twa, to kontan tifi miner. Atan to fami pou kone tou sa. » Pris au piège, paniqué à l’idée de voir son nom éclaboussé publiquement, il entre dans le jeu de son maître chanteur. Sous les menaces de divulgation, de passage à tabac et d’humiliation publique, il verse plusieurs montants, pour un total de Rs 150 000. Des paiements effectués à la fois par transferts bancaires et en espèces.
Mais l’engrenage de la peur ne s’arrête pas là. Le présumé maître chanteur, identifié comme un certain Ayush, l’aurait même menacé de venir le frapper chez lui et de publier des photos et messages compromettants sur les réseaux sociaux. Épuisé psychologiquement et financièrement, le douanier craque et choisit enfin de parler.
Ce que dit la loi : une arme à double tranchant
Selon le Criminal Code (Supplementary Act) de Maurice, l’extorsion est un crime grave, passible de 10 à 20 ans de prison, surtout lorsqu’il s’accompagne de menaces et d’une utilisation malveillante de données personnelles ou d’images privées. Par ailleurs, l’article 46 de l’Information and Communication Technologies Act (ICTA) sanctionne sévèrement la diffusion non autorisée de contenus à caractère sexuel, et plus encore lorsque des mineurs sont impliqués. La possession, la diffusion ou la consultation de contenus pédopornographiques constituent des infractions pénales.
Dans ce cas précis, la justice devra aussi déterminer si la victime a été manipulée à son insu, ou s’il y a eu une tentative de fabrication de preuves dans le but de nuire à sa réputation et d’obtenir de l’argent.
Une spirale dangereuse et silencieuse
Cette affaire soulève des questions cruciales sur la vulnérabilité psychologique des victimes de cybercriminalité à Maurice. Piégées, isolées et paralysées par la peur du scandale, nombreuses sont celles qui se taisent. Les autorités rappellent que les victimes ne doivent pas se laisser intimider : « Il faut signaler rapidement ces faits à l’ICT Unit ou à la Cybercrime Unit de la police. Plus on attend, plus les criminels prennent de l’assurance », confie un officier du CCID.
Pour le douanier de l’Est, le combat ne fait que commencer. Il devra se reconstruire, regagner confiance en lui, et espérer que justice soit rendue. Son témoignage pourrait toutefois servir d’alerte : dans un monde numérique sans filtre, chacun peut être victime… mais il n’est jamais trop tard pour parler.